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casting d'enfer

4 décembre 2010

Casting d'enfer

Paul ARRIEU
CASTING INFERNAL

Polarcho


En guise d'Avant-Propos...

Table des matières :

1 - Hou you youille !
Le temps des cerises .-  Ouille ! ça fait mal .-   Le chapeau de gendarme . -  Étonne-moi .

2 - Le geste auguste du semeur
L’humeur à facettes de Lola . - Faut le mettre à l’amende .-  La mallette . - L’autre mallette . -  Au gendarme et au voleur .- Tu sais pas tout  .-  Abus de biens sociaux .

3 -  Chaud, le festival, chaud !
Le bahut, la guitoune et le palace .- Partouze manquée .- Les joyeusetés du tournage .- Ce bon monsieur Gabriel .- Désir d'amour .

4 - De mal en pis
Séance plénière .- La sonnerie du tocsin .- Le Titan .- Riton, Simone  et Ces Messieurs .- Aux suivants .- Et c'est le tour à Pépère .- Les journaux .- Du coup fourré au coup dur .

5 - Suspects suspense et sexe

La plainte de Jules .- Recherche d'alibis .- Durimel et les femmes .- La plus raisonnable .- Révélations .- Politique et affaires embroussaillées .- Griffures et coups de dents .- Au clair de la lune .

6 - L'enquête déraille, Amadeus la sauve
La presse .- Oh les cafteuses, oh! les coquines .- Romance en marge .- Traitement de faveur .- La marinade .- Va y avoir du sport .- Un portier qui a l'œi .- Enlevez, c'est pesé .

 

Avertissement 1
Toute ressemblance entre les héros de ce polarcho et des personnages réels serait fortuite.
Avertissement 2
Les passages en caractères gras ne sont pas là que pour faire joli . Ils indiquent des passages qui mériteraient une illustration, dessin ou photo. Avis aux amateurs

II Paul ARRIEU, Casting d'enfer

1 - Hou you youille !

Le temps des cerises

Lui, c’est Toni . Il a la gueule de Depardieu, en plus jeune, d’accord, mais quand même, il en a quelque chose, dans le nez, un poil de travers, et dans le regard, dur, quand il rigole pas aux éclats. Il est plus corpulent aussi, quoique Depardieu,  c’est déjà une beau bestiau, mais Toni, lui, il est vraiment taillé comme un pilier de rugby, d’ailleurs la preuve, il a tâté de la boxe, et s’il a pas réussi à grimper au top, c’est pour d’autres raisons, sans rapport avec sa musculature, mais plutôt, disons, avec son caractère.
Toni, donc . Il a installé sa petite boutique dans un couloir du métro Châtelet . A savoir un pliant, il est assis dessus. Derrière lui, il a son sac à dos .A ses pieds, à côté de sa casquette, un petit poste de radio qui fait magnétophone. Sur ses genoux sa guitare . Sur sa guitare, ses bras nus, vu qu’il est en marcel, que, s’il ajoute à ses bras nus son regard dur, il impressionne .  Les nanas et autres petites mères qui lui jettent une pièce dans sa casquette le font peut-être autant par vague crainte que par admiration pour sa prestation .  Laquelle consiste  à  chanter,  sur  des  accords de guitare, mais attention,  discrètement , comme pour soutenir et encourager la bande magnétique qui, elle,  donne à fond .
Aujourd’hui, c’est en priorité Le temps des cerises, en duo avec une gloire du début du siècle, une femme dont tout le monde a oublié le nom, mais dont le timbre correspond bien au sien, d’après ce qu’il en dit .  Après chaque chanson, tout en reprenant souffle, il sort de son sac pour les vendre des cassettes, rien que des tubes immortels, des chansons cultes, des chefs d’œuvre du patrimoine signés Maurice Chevalier, Rina Ketty, Fernandel, Geogette Plana, Tino Rossi ou Dranem . Un lot de mille cassettes.  Il les a négociées dans une cave qu’il connaît à trente centimes l’unité . Il les revend deux euros . Ce qui lui laisse le temps de voir venir ...

Ouille ! ça fait mal

Et là, qui c’est qui vient , c’est Bamboula . C’est un ado, il est beau comme un dieu grec qui serait né au Sénégal, noir comme on peut pas rêver mieux, sans une goutte de métissage, avec un grain de peau très fin et des yeux pétillants. Il arrive en traînant la savate, en se dandinant, il en finit pas, mais pour montrer que cette allure ne répond pas à sa nature, un, deux, trois, et hop ! il fait un saut périlleux qui le plante devant le musico.
Alentour les gens du métro étouffent des oh! et des ah!  en passant vite.
- Tu m’casses mon commerce, mon p’tit Caoua, lui fait Toni, sévère .
- J’suis venu exprès pour te voir, Toni , vu que j’ai appris que t’avais été jeté de ton Mac Do , je veux dire, où tu travaillais ...
TONI - J’ai pas été viré,  je m’suis tiré...
BAMBOULA - Oui, j’ m’en doute, vu ton caractère et tout, et comme je sais qu’entre deux p’tits boulots,  c’est ici qu’on te retrouve, je suis venu ...
TONI - Dis voir, môme, d’accord, t’es mon p’tit Caoua, mon p’tit frelot, si quelqu’un te cherche des noises, il a affaire à moi, tout le monde le sait dans not’ cité d’ Nanterre, mais ça ne te donne pas tous les droits, comme de venir me dire ici que j’ai été débarqué à cause de mon caractère, et si c’est pour ça que t’as fait le voyage...
BAMBOULA, allant s’accroupir à côté de Toni . -Mais pas du tout Toni, j’suis venu te parler de moi, de quelque chose de... de... de délicat.
TONI - Hein? Comment t’as dit ? Délicat ?... T’as de ces mots aujourd’hui... Je t’écoute.
BAMBOULA - Je sais pas par où commencer. Disons que c’est, c’est rapport à ma bite...
TONI - Ah! non, mon Caoua, non! Tu vas pas nous remettre ça !... Tout le monde le sait dans la Cité des Fleurs , que ta bite c’est la reine des bites, qu’elle est énorme, que c’est la plus belle par sa taille, sa forme et sa couleur, que tes potes te l’ont peinte en blanc pour tes quinze ans, que Bob, le commis boucher , vous a ramené une bite de taureau pour faire la comparaison, qu’il vous a promis pour la prochaine fois une bite d’âne... Ben quoi, qu’est-ce que j’ai dit , c’est pas vrai ? ( Il vient de s’apercevoir que Bamboula est en pleurs . Il le prend  par les épaules. ) Qu’est-ce  que  t’as  à chialer ? Qu’est-ce que j’ai dit ? T’es fier de ta bite, mon Caoua, d’accord... Y a pas plus naturel ! Moi je serais pareil...  Allez, va, raconte-moi la dernière.
BAMBOULA - C’est pas vrai que je pleure, je veux dire, y a pas que moi, ma bite aussi...
TONI - Hein ?
BAMBOULA - Ouais, on peut le dire comme ça, elle a la larme à l’œil .
TONI - Hein ?
BAMBOULA - Ben oui .
TONI, méchant - Dis voir, môme, tu viens me casser ma goualante pour une vanne à trois sous qui ferait même pas rigoler les plus arriérés de ton lycée professionnel d’enfoirés...
BAMBOULA, pathétique - Je sors de chez le toubib, Toni, je suis venu te voir direct...
TONI - Et alors?
BAMBOULA - Je l’ai pas compris tout de suite. Y m’a dit t’as une blenno, y m’tutoyait ce con, j’ai ouvert de grands yeux, une blennorragie, y m’a fait, et pour bien me mettre les points sur les i , y m’a dit une chaude-pisse . En même temps, il se lavait les mains, ce qui m’a fait penser que j’avais pu attraper ça en serrant la main d’un mec pas propre ou en buvant dans un verre mal rincé, je lui ai dit...
TONI - Et alors ?
BAMBOULA - Alors y m’a vu venir, il a fait tsst, tsst, tsst, te fatigue pas à chercher ailleurs, y m’a dit, t’as forcément attrapé ça dans un rapport sexuel, c’est comme ça qu’y cause ce con, sûr et certain, y m’a dit, et t’as d’la chance de pas avoir chopé le sida,  parce que t’es  un  petit  inconscient de merde de pas mettre une capote, y l’a pas dit comme ça, mais j’ai lu le SMS dans ses yeux...
TONI - Et il a raison à cent pour cent, ce toubib,  mec... Mais pleure pas comme ça, merde, en plein métro, en plein public... C’est vrai que t’es qu’un p’tit con, mon p’tit Caoua, mon frelot... C’est pas une raison pour te mettre dans des états pareils...  Je te l’ai dit déjà, tu devrais avoir une copine . ça serait plus sain pour toi  . C’est pas raisonnable, à ton âge, d’aller aux putes, et sans préservatif ! D’ailleurs ça m’étonne qu’une pute ...
BAMBOULA, se frottant les yeux  - Je suis pas allé aux putes, Toni, tu sais très bien que j’en ai pas les moyens ...
TONI - Alors quoi ?
BAMBOULA - ça m’est pas arrivé en me branlant avec les mains crades et les pédés c’est pas mon truc, je te dis tout ça parce que le toubib m’a mis les points sur tous les i, c’est vrai que c’est un bon toubib, y m’a dit c’est elle, cherchez pas plus loin, c’est cette femme...
TONI - Quelle femme ?

Les gens qui passent regardent à la dérobée ce couple insolite de gaillards dont l’un console l’autre. Mais plus une pièce ne tombe dans la casquette . Personne ne s’intéresse à l’assortiment des bandes magnétiques bradées à deux euros . Pour détendre l’atmosphère, et réamorcer le commerce, Toni lance au magnéto Elle avait du poil aux pattes. Au moment où il commence à gratter sa guitare pour attaquer un duo avec Fernandel, son pote l’arrête . Toni lui demande s’il préfère une note d’exotisme avec La fille du bédouin, de Georgette Plana . Pour toute réponse, le môme fait demi-tour, et s’assied en tailleur face au mur pour chialer de plus belle.

TONI - Mais qu’est-ce que t’as mon Caoua ? T’en fais un peu trop, non? T’as mal ? C’est douloureux c’te saloperie ?
BAMBOULA - Bof, non... ça brûle un peu au bout, au  niveau du gland , à peine... Mais ... Ou-you-youille ! c’est surtout au moral que ça fait mal.
TONI - T’es trop sensible petit frère...
BAMBOULA - Quand je t’aurai dit tu jugeras...
TONI - Dis toujours...
BAMBOULA - La femme ...
TONI - Ouais...
BAMBOUla - Ben...  ben...
TONI - T’accouche, oui...
BAMBOULA - Ben c’est Lola .
TONI, sourcils froncés, l’index menaçant - Toi, Bambou, t’as beau être mon p’tit Caoua, j’te permets pas, t’entends ?... Lola , c’est une fille propre ! T’oublies un peu vite c’que tu lui dois ! C’est quand même elle qui t’a soulagé de ton pucelage...
BAMBOULA - Oui, grâce a toi Toni, j’ai rien oublié, c’est toi qui me l’a donnée, Lola...
TONI - C’est moi, c’est moi !... Non, c’est elle, moi j’y suis juste allé d’un petit conseil... C’était du temps où elle était ma meuf... Mais depuis, chaque fois que vous avez remis le couvert, vous m’avez pas appelé pour tenir la bougie...
BAMBOULA - Ben justement, Toni, ça n’a pas été souvent, parce que, Lola,  ma bite lui donne le grand frisson, j’en suis sûr, la main au feu, mais le malheur,  c’est qu’elle a trop de moralité...
TONI - Bon, ça va, je la connais comme le fond de ma poche, raconte-moi plutôt votre dernière.
BAMBOULA - Je sais pas si tu le sais,  mais Lola, depuis quelques semaines, elle sort avec un mec de la côte d’Azur, un gus qui navigue entre Paris et là-bas, ce qui fait qu’ils ne vivent qu’à moitié à la colle, quand il vient,  dans une chambre de bonne qu’il lui a trouvée sur les Grands Boulevards... De fait, c’est un studio, tu verrais ça, vraiment chicos, aménagé dans deux chambres côte-côte l’une avec fenêtre, l’autre avec lucarne...
TONI - Et toi dans ce merdier ? Abrège .
BAMBOULA - Moi... J’ai fait un mot pour le lycée, de ma propre main,  les surveillants sont habitués vu que ma pauv’ maman sait pas écrire, j’ai mis : “Monsieur le Proviseur, j’excuse l’absence de mon fils pendant une quinzaine de jours pour cause de force majeure en raison d’une visite de son père...”
TONI - Fais plus court, môme, ou j’ te mets un pain .
BAMBOULA - J’ai guetté le départ du mec pour la Côte... J’ai continué de guetter... J’ai attendu le lendemain matin., que la lumière de sa chambre s’allume, sous les toits, au sixième...
TONI - T’as guetté, t’as guetté, comment ça ?
BAMBOULA - Mais c’est toi qui veux que je résume, Toni . J’ai fait la planque dans le cagibi des poubelles, super bien placé...
TONI - C’est bon, c’est bon... La voie est libre, tu montes, tu sonnes, elle te fait entrer...
BAMBOULA - Ben oui, tu la connais, méga sympa, surtout que je lui apportais des croissants chauds...
TONI - D’accord, d’accord... Après les croissants...
BAMBOULA _ J’ai pas tenu jusque là, Toni . Par jeu, j’ai dénoué la ceinture de son peignoir. Ovcorse, elle était à poil... J’te raconte pas l’éblouissement,  elle  a été  ta meuf... J’ai  fait  glisser  le peignoir,  elle m’a dit qu’elle voulait bien étant donné qu’elle avait pas pris sa douche, que par conséquent ça ne la retarderait pas trop... On était dans la kitchenette, on n’a pas pris le temps d’aller jusqu’au lit, je l’ai gentiment pliée sur la table... Je raconte ou j’abrège ?
TONI - Tu l’as pliée, tu veux dire que tu l’as prise en levrette .
BAMBOULA - Tout juste . Je lui ai caressé la croupe, je lui ai écarté les fesses, tu te souviens de sa nusse, un vrai diamant...
TONI - Sa quoi ?...
BAMBOULA - Du bout de ma bite, qui était nickel à ce moment là, je lui ai titillé la vulve et la nusse....
TONI - Ah! l’anus, d’accord.
BAMBOULA - Ben oui...
TONI  - Je t’expliquerai plus tard . Continue.
BAMBOULA - Elle tenait plus Toni, avec la main elle m’a orienté le braquemart a sa convenance, et moi, paf!...
TONI - Bravo, mon Caoua . Mais si tu veux bien, on va recentrer le débat, sinon jamais on n’en arrivera à la chtouille...
BAMBOULA - La suite... comment dire? Elle a pris sa douche... Elle a bien voulu que je revienne le soir... J’ai passé une journée pas possible de tant que je l’attendais . A midi, j’ai dû me faire une branlette . Quand je l’ai retrouvée, elle était chaude à un point que...  j’allais dire  que tu  peux pas  ima-
giner, mais si, tu peux... Je l’ai tirée deux fois, et même une petite troisième...
TONI - Eh ben, voilà !... Voilà ! C’est l’abus qui t’a donné ta chaude-lance .
BAMBOULA - Non monsieur, non ! J’y ai pensé, Toni. Mais le toubib a été formel, tu peux tirer, y m’a dit, jusqu’à usure complète du matériel, c’est pas ça qui introduira là où y en a pas, des monocoques, des multicoques, un nom comme ça.
TONI - Conclusion, le salaud, c’est l’autre, le pèlerin de la Côte d’Azur.
BAMBOULA - Forcément. Ce que j’t’ai raconté s’est passé y a trois jours . J’ai pas revu Lola depuis, parce que le lendemain, ce con là devait revenir... Maintenant je me demande ce que je dois faire ? L’avertir, elle ? J’ai voulu te demander conseil... J’ai aussi voulu , comment dire, te prévenir...
TONI - Me prévenir de quoi ?
BAMBOULA _ Des fois que t’aurais un goût de revenez-y, avec Lola., vu que -les nouvelles vont vite dans la Cité- tout le monde sait que t’as largué ta meuf en même temps que ton Mac Do. Y en a qui disent que c’est elle, la Monique, qui supportait pas de te voir pointer  au chômedu...
TONI, l’œil mauvais - Qui c’est qui dit ça ?
BAMBOULA - La rumeur, un bruit qui court dans la Cité...
TONI - Et qui a fait le tour de tout Nanterre, et pourquoi pas le tour de France ! Que... écoute moi bien, mon Caoua, tu m’as demandé un conseil, je t’en donne deux . Le premier, ne tend pas l’oreille vers ceux qui bavent sur moi, vu ? Le deuss... est-ce que tu as commencé ton traitement?
BAMBOULA - Ben non, Toni . Je suis venu te voir direct...
TONI - Alors tu files chez le pharmaco, illico,  parce que, quand on a un joli petit capital... pardon, excuse, môme,... quand on a un beau gros capital comme toi, il faut le soigner,  et  après, gentiment l’entretenir.

Le chapeau de gendarme

Simone attaque une dernière mèche,  rouge  feu, d’un rouge qui convient bien au brun de la teinture que Mme Belmont a choisi .
- On arrête là ou je vous en fais encore une ou deux, Mme Belmont ? demande Simone à l’image de sa cliente, dans la glace.
Pour que celle-ci puisse mieux juger, elle gonfle la chevelure en la faisant glisser entre ses doigts, à la hauteur des oreilles .
- C’est parfait,  on arrête.
Simone s’arme de sa brosse pour un lustrage d’ultime finition .
- Quel beau garçon, il est vraiment fait pour toi ! dit la cliente en pointant le miroir.
La jolie coiffeuse lève les yeux, voit l’image de Riton . Il est dehors, sur le trottoir. Elle tourne la tête vers lui, et, avec un sourire crispé, lui fait un signe d’assentiment . Il n’en demande pas davantage, il disparaît.
- M’est avis que tu ne vas pas déjeuner seule, ma petite Simone, dit Mme Belmont.
Simone s’efforce de sourire.
- Je suis bien contente pour vous deux...
- Vous êtes contente de quoi,  Mme Belmont ?
- Pourquoi fais-tu la cachottière avec moi, ma petite chérie, moi qui vous ai toujours connus, toi et Riton, moi qui vous ai vendu vos premiers carambars, forcément, puisque j’étais boulangère dans cette Cité avant même que vous soyez nés...
- Croyez-vous, Mme Belmont , que notre déjeuner soit une grande nouvelle à annoncer ?...
- Le déjeuner, non...  Mais je viens de passer deux heures avec toi, entre tes mains, et tu ne m’as pas dit que ton copain, autrement dit ton compagnon, Riton pour ne pas le nommer, avait réussi son concours d’entrée dans la gendarmerie... Je l’ai appris à la boulangerie par sa sœur ...
Le joli minois de la coiffeuse se renfrogne . Elle grimace, cherchant une bonne réplique.
- Ce n’était pas la peine que je vous en parle, dit-elle,  je m’en doutais que vous le saviez .
- Moi je pense , poursuit la boulangère, que tu as tout lieu d’être fière de lui, parce que la gandarmerie, c’est l’aristocratie de la police, c’est le sens du devoir et de l’honneur... Rien à voir avec les CRS du 93 ou avec les enquêteurs de la crime comme on les voit dans les séries à la télé...
- Vous avez raison, Mme Belmont, décrète Mme Inès,  la patronne du salon .
Et pour mieux venir en aide à son employée qu’elle devine gênée , elle fait mine de la bousculer :
- Vous seriez gentille d’en finir, Simone... J’aime bien fermer avant 13 heures .
- L’ennui, ma petite Simone, dit Mme Belmont, c’est que je t’aime bien et que je vais te perdre...
L’intéressée ne pose aucune question .
La bavarde n’en ajoute pas moins :
- Eh oui!  tu vas vouloir suivre ton Riton dans sa première affectation . Vous aussi, Mme Inès, vous la regretterez, pas vrai ?  Une si bonne ouvrière.
Mme Inès répond par un sourire.
Et rien de plus.
Entre commerçants, on se comprend sans parler. La boulangère ne retardera pas davantage la patronne qui veut faire la pause de la mi-journée . .
Elle paye et s’en va.

Peu après, Riton et Simone sont assis face à face dans le petit restaurant du quartier où ils ont leurs habitudes . Ils font grise mine .
SIMONE, sur un ton faussement gai. - Mme Belmont te trouve beau . Elle a raison... Toi en uniforme de gendarme et moi à ton bras, on ferait une belle image  dans la presse pipole.
RITON, même jeu . - Du genre Arthur avec son top modèle, par exemple. Tu veux me faire dire que tu es aussi jolie qu’elle ? D’accord . Et moi, est-ce que  j’ai l’air aussi con que lui ?
SIMONE  - Il faudrait le voir en gendarme ! (Changeant de ton . ) Je n’ai pas envie de plaisanter, Riton. Je t’en veux, premièrement parce que tu m’as demandé de ne pas dire que tu avais été reçu à ton concours, et deux!èmement parce que tu viens me chercher au salon sans m’avoir prévenue.
RITON - Ouais, j’ai été reçu, mais là où ça me conduit,  j’y vais à reculons, et d’un . (Clignant de l’œil.) Quant au deusio, c’est une surprise .
SIMONE, mimant l’impatience en se frottant les mains pour détendre l’atmosphère. - Une surprise, j’adore, dis vite .
RITON - J’ai revu Lola .
SIMONE, sourcils froncés . - Lola !...
RITON - Ne fais pas cette tête là... Si tu te voyais, le nez pincé... Ton visage bouge, comme hésitant entre le mépris, la jalousie, la rancune... Qu’est-ce que tu vas chercher? On a été ensemble, Lola et moi, c’est vrai, mais ça fait un bout de temps, et ce n’est pas parce qu’elle est mon ex que je n’ai plus le droit de lui parler.
SIMONE - C’est une mijaurée, une fille facile...
RITON - Oh là, oh !... oh!... Elle a changé, elle s’est rangée des voitures, elle a dégoté un petit vieux plein aux as ...
SIMONE - Elle ne saura pas le garder, crois moi . Lola, sous ses airs de femme libre, c’est une tête de linotte. Elle a tout pour réussir... Elle est belle, elle est grande, elle est mince, elle peut manger de la cochonnaille, du chocolat, et sucer des glaces à longueur de journée sans  prendre un gramme, elle a tout pour réussir et qu’est-ce qu’elle fait ?...
RITON - Tu es bien placée pour le savoir, ma Simone, elle fait des shampooings dans ton salon, le samedi . Les autres jours, elle est vendeuse ici ou là,  mais bientôt elle n’en aura plus besoin...
SIMONE - Et comme il lui reste déjà du temps libre, elle a cherché à te revoir...
RITON - Oui, ce matin elle m’attendait à la porte de ma boîte .
SIMONE - Elle s’est levée de bonne heure pour ne pas te manquer...
RITON - Exactement . (Un long silence.) Tu ne me demandes pas ce qu’elle me voulait .
SIMONE - Non .
RITON - Je vais te le dire quand même . En deux mots . En essayant de faire court . Le mec de Lola, son pépère rupinos, c’est un grossium qui fait dans l’immobilier...
SIMONE - Oui, c’est ce qu’elle dit au salon. Mais Mme Inès et moi, on pense que s’il fallait compter sur lui pour avoir un appart...
RITON  - Peu importe Simone, on n‘attend pas de lui un logement ! Ce qui est sûr, c’est qu’étant bourré de fric, il s’est mis en tête de produire un film . Ouais, un film de cinéma . Chez lui, sur la Côte . Le titre reste à choisir mais l’intrigue est connue . Ce sera l’histoire d’un perdant de la Star Ac qui rebondit et amorce une grande carrière...
SIMONE - Qu’est-ce que tu racontes ? En quoi ça nous concerne ?
RITON - J’y viens, m’y voilà . C’est bientôt Pâques . Après, c’est le festival de Cannes, et le Jules à Lola  - Jules, c’est vraiment son blase, je te jure - il veut en profiter pour tourner.
SIMONE, ironique. - Je sens en moi la passion monter, dis-moi bien tout , Riton.
RITON - Ce Jules, il a paraît-il la haute main sur le casting de son film, et comme Lola a la haute main sur lui, tu me suis ?...
SIMONE - Non .
TONI -  Moi, toi, et aussi Toni, et son pote le Caoua, on est tous engagés, si on veut...
SIMONE - Premiers rôles ou intermittents ?
TONI - Ne te moque pas ! Lola est emballée . Elle nous voit au premier rang des figurants, avec parfois un mot à dire, faisant ce qu’on appelle de la figuration intelligente...
SIMONE, atterrée - Tu n’as pas accepté, tu n’as pas oublié...
RITON - Non, non, je n’ai pas oublié notre voyage à Venise . Ton parrain nous prête sa super bagnole, on ne va pas s’en priver ! Mais notre route passe par la Côte, en plein moment du tournage... On ne va quand même pas demander à changer les dates de notre  congé ... On ne fera que jeter un œil, avec un coucou aux copains d’autrefois...
SIMONE - Un coucou, un coucou... Et rien de plus ? Je n’ai aucune envie de renouer... de revivre... de rejouer à la famille tuyau de poêle...
RITON, nostalgique  -  Ce n’était pas si mal, le Clan des Cinq en vacances... (Il fredonne.) Y’avait Toni et son Caoua, y’avait Riton, y’avait Lola, et puis Simone... comme dans la chanson de Montand.
SIMONE - Basta !
RITON - D’accord, d’accord... Rien qu’un coucou... On se contentera d’un coup d’œil en passant... Avant de filer... Je prends tout en main, je m’occuperai de tout, et, si ça ne marche pas, c’est moi qui porterai le chapeau...
SIMONE - Je suis sûre qu’il t’ira très bien .
RITON - Quoi ?
SIMONE, réconciliée - Le chapeau . A condition que ce soit un chapeau de gendarme, ovcorse .

(à suivre)
IIIÉtonne - moi

Lola s’est approchée en minaudant, toute blonde, toute en sourire, la chevelure vaporeuse, hyper bien maquillée, bras nus, les mamelons nimbés de rose sous le corsage transparent . Mais de tout cela, Toni ne veut rien voir . Il gratouille sa guitare, le front bas . Sous la minijupe, tissu mode, style écossais, le fuselage des cuisses, la finesse des genoux, il en a rien à foutre...
- Eh ! Toni... c’est moi, fait-elle .
Les passants continuent de passer avec des regards étonnés pour cette admiratrice d’un musico qui n’en finit pas d’accorder son instrument .
- Je suis venue exprès, Toni... poursuit Lola . J’ai appris pour le Mac Do et pour Monique... Je savais que tu serais là...
Il lève les yeux, sans dire un mot.
- Pourquoi tu me regardes comme ça, l’air mauvais ?... demande-t-elle . Je serais enceinte, tu me ferais faire une fausse-couche...
Les passants tendent vaguement l’oreille . Certains s’approchent pour jeter une pièce dans la casquette ou peut-être pour mieux entendre .
- Eh! Toni, t’as pas envie de rigoler ?... Mon pauv’ vieux, j’en crois pas mes yeux, t’es plus le drille que t’étais... Mais je vais te tirer de là... En souvenir de nos bons moments... Je vais te faire oublier le Mac Do et la suite.. Il faut que je te parle, Toni .
Alors celui-ci choisit son ton le plus tragique pour répliquer :
- Moi aussi il faut que je te parle .
Un sinistre roulement de tonnerre au fin fond des galeries du métro aurait bien mis en relief cette répartie, mais non .

Peu après, Toni et Lola sont assis face à face à la terrasse d’un café de la place du Châtelet.
Lola attaque sa coupe de glace grand modèle. Toni se verse une bière  en prenant soin de ne pas trop la faire mousser.
LOLA - Je te préviens, Toni, je vais t’étonner.
TONI - Moins que moi .
LOLA - Hein ? Moins que toi quoi ?
TONI - Moi, je vais t’étonner davantage...
LOLA - Ah bon !... Laisse-moi commencer... Je t’offre une belle semaine de vacances, peut-être une quinzaine, sur la Côte, tous frais payés, voire plus si affinités... Je vois que déjà tu as l’air moins grincheux...
TONI - Je t’écoute, c’est déjà bien .
LOLA - Jules, je t’en ai parlé, tu sais que c’est son vrai nom... (Souriante.) Mon Jules donc finance un film qui raconte la fabuleuse histoire d’un certain Jimmy sorti battu d’une Star Ac...
TONI - Arrête, je vais pleurer...
LOLA - Justement non !... A force de volonté et de rage, Jimmy finit par réussir . C’est un film tonique, sur mesure, pour nous bouster nous les
jeunes...
TONI - Et moi ?
LOLA - Tu ferais partie de la bande à Jimmy . Ta place est garantie dans son sillage comme figurant. Mais attends... Jules m’a dit : “S’il sait se montrer, il peut être celui qui rappelle le rappeur que Jimmy était avant de se lancer”, tu me suis...
TONI, dubitatif - Je savais que ton proxo roulait dans le fric, n’empêche!... C’est vrai que tu me la coupes...  enfin, un peu .
LOLA - Attends, je ne t’ai pas tout dit... Ton Bamboula, et Riton, et Simone, feront partie de la figuration... On va se payer une semaine
terrible comme au temps du Clan des cinq... Tu te souviens ?
TONI - Tu les as prévenus les autres?...
LOLA - J’ai juste vu Riton, il est d’accord...
TONI - Et mon p’tit Caoua ?...
LOLA - Y demandera pas mieux, tu penses !...
TONI - Tu ne lui as pas posé la question ?
LOLA - Je ne l’ai pas vu...
TONI - Menteuse .
(Un long silence . Ils ne se quittent pas des yeux.)
LOLA, riant. - Ah ! le petit con, ah ! ah ! ah ! Il a fallu qu’il s’en vante ! Et auprès de toi ! (Redevenant sérieuse, sourcils froncés.) Tu sais
qu’il me fatigue, Toni, ton protégé... Sous prétexte que je l’ai initié... A ta demande, tu te rappelles... Il était d’après toi dans une telle détresse... Je n’aurais jamais dû accepter... Depuis il fait sur moi une fixette... Il ne veut pas comprendre que maintenant j’ai un homme, sérieux, qui m’a installée... Il m’importune, Toni, il m’importune, ton Caoua...
TONI - Je vois, tu as un cas de conscience. Mais monté comme il est, il sait te le faire oublier...
LOLA - Je ne te permets pas, Toni, même en tant qu’ex tu n’as pas le droit... Oui, ses visites me gênent, ses exigences m’ennuient ...
TONI - Des exigences, lesquelles ?...  (Silence hostile de Lola.. ) Il veut que tu le suces ? Je sais que tu n’aimes pas...
LOLA - C’est vrai, j’aime pas le goût, et je lui ai dit qu’il y avait des putes pour faire ça !
TONI - Mais il n’a pas les moyens, il faut te mettre à sa place  ma petite Lola !
(Haussement d’épaules de Lola.)
TONI - Peut-être même qu’il a voulu te flairer l’oignon, te lorgner l’œil de bronze avec l’idée d’entrer par le petit guichet...
LOLA - Tu m’as toujours dit que j’étais nunuche,  Toni, tu sais parfaitement que je ne comprends rien à ces cochonneries...
TONI (avec un gros rire.) - Traduction : il est cap d’avoir essayé de te sodomiser, ce petit con !
LOLA (rougissante jusqu’à la racine des cheveux.) - Ah ! je vois ! je vois ! Il est venu tout te raconter dans le détail, le moricaud, et voilà pourquoi tu prétendais m’étonner...
TONI - Tu n’y es pas du tout, Lola . Pour ce qui est de t’étonner, je n’ai pas encore commencé, mais (l’œil vachard, la gueule en coin) je vais le
faire et te dire ma façon de penser. Que le moricaud comme tu l’appelles ...
LOLA - Sans méchanceté, Toni, tu sais bien que je ne suis pas raciste...
TONI - Tu me laisses parler, oui ! Que mon Caoua te fasse grimper aux rideaux trois ou quatre fois d’affilée, je trouve ça très sain . Que dans tout ça tu sauvegardes la virginité de ton troufignon, je n’ai rien contre, ce n’est plus mon problème . Mais que pour le bénéfice de tes petits orgasmes tu sacrifies la santé d’un bel ado plein de vigueur, en pleine croissance... Salope que tu es !
LOLA - Va moins vite, Toni, je te jure que je te suis plus... Quelle santé, la santé de qui ?
TONI - La tienne aussi d’ailleurs ?
LOLA - La mienne ?
TONI - Les yeux dans les yeux, Lola, ici et maintenant, dis-moi que tu te sens bien dans ta culotte, que tu te sens propre dans ta culotte ?...
LOLA (des larmes aux coins des paupières.)  - Comment est-ce possible ? Comment as-tu pu deviner ?... C’est vrai... c’est vrai que j’ai rendez-vous avec mon médecin dans moins d’une heure.
TONI - Bamboula c’est déjà fait .
LOLA - C’est lui qui m’a contaminé ce petit saloupiot !
TONI - Mais pas du tout, n’essaie pas de te défiler ! C’est toi... Quoique, à la base, le gros dégueulasse, c’est forcément ton Jules...
LOLA (après un temps de réflexion, le front dans la main) - Impossible ! Si tu connaissais Jules, tu comprendrais que c’est impossible ... Jules, c’est un bon pépère... Il ressemble à Jugnot, en un peu moins frais... Il est marié, il a trois enfants... Son fils aîné, qui a un an de plus
que moi, finit son droit...
TONI - Ouais, je vois, c’est un modèle de bourge, mais qui mène une double vie, peut-être une triple, ou qui se paie des extras...
LOLA - Impossible, il ne pense qu’à ses affaires ! A Antibes, il a son agence principale et sa résidence familiale... A Paris, il a moi, et des parts dans une grosse agence de la rue Rivoli...
TONI - Et à Pigalle, qu’est-ce qu’il a ?
LOLA - N’insiste pas, Toni, tu fais fausse route . Il a trop d’occupations et de soucis, Jules, et... comment dire... C’est un homme... reposant, raisonnable... pas porté outre mesure sur... Bref, le sexe, il aime, mais comme tout le monde, moyennement...
TONI -  S’il a tant d’affaires en tête et s’il est tellement couille molle, pourquoi il t’a draguée ? Où  l’as-tu  rencontré ?
LOLA - Chez Jacadi, le spécialiste pour enfants . Il m’ a d’abord acheté une robe, pour la fille d’un de ses clients . Il voulait du trois ans mais après discussion je lui ai conseillé du quatre ans . Et puis je l’ai aidé à choisir un Babar en peluche, on a plaisanté, et de fil en aiguille, discrètement, il m’a invitée à dîner . Et... je te la fais courte... comme je l’avais retardé, il m’a demandé le lendemain de lui rendre un service... Il m’a chargée de porter à son client, un député-maire des Yvelines, la robe, le Babar et des papiers qu’il devait lui remettre, des plans d’immeubles, des devis, des factures ou je ne sais quoi... Je l’ai fait, ça crée des liens, ça nous a rapprochés, et voilà...
TONI - Et le sida, comment il entre dans le conte de fées?
LOLA, qui blêmit - Le sida ?
TONI - Je blague, Lola... Eh! tu n’vas pas tourner d’ l’œil ! Je blague... Mais fais gaffe quand même !... Il s’agit d’une saloperie qui n’a pas pu te sauter comme ça à la craquette parce que tu te serais assise avec ta mini-jupe sur un banc sale... C’est moi qui te le dis , et, tu vas voir, le toubib confirmera.
LOLA - Justement, y faut que j’y aille... Mais je te jure que je ne peux pas croire que ce bon Jules... Et qu’est-ce qu’on va faire de sa proposition d’une semaine sympa sur la Côte ?...
TONI - On fait comme si de rien n’était.. Tu acceptes, mais d’abord tu te soignes... Allez, file !
LOLA - Tu crois qu’on se retrouvera les Cinq ensemble à Cannes, Toni ?...
TONI - Et comment ! Ton Jules, je veux le mettre à l’amende... J’irai même plus loin ... Il va nous le payer cher, on va lui faire sa fête... Normal puisque ce sera le festival .

2 - Le geste auguste du semeur


L’humeur à facettes de Lola

Rude soirée en perspective pour la nymphette . Elle a accueilli Jules avec son plus aguichant sourire . Il l’a embrassée, elle l’a étreint, jouant la voluptueuse, plaquée fort contre lui, seins tendus, vulve frôleuse . Par pure stratégie . Car elle a un double projet, pas facile à réaliser : elle veut lui examiner la bite pour savoir s’il est le semeur de gonocoques, mais en même temps, elle ne doit pas trop l’aguicher, le docteur lui ayant interdit tout rapport tant qu’elle aura ce qu’elle a, la coulante.
- Tu as fait un bon voyage, mon Biquet ? lui demande-t-elle . Le TGV n’avait pas de retard ?
Son voyage s’est très bien passé . Il en a profité pour travailler . Il a classé des papiers, il a mis en ordre des dossiers, en ce moment il est surbooké, pas étonnant qu’il soit fatigué .
Il se laisse tomber sur le coin du divan . Elle sort des verres et la bouteille de Martini blanc, son apéro préféré. Il dégrafe deux boutons de son  gilet . C’est vrai qu’il ressemble un peu à Jugnot, surtout à cause de son alopécie et aussi de son regard de gros malin,  mais il est plus ventripotent et ses joues commencent à jouer les bajoues.
- Moi aussi,  je ne sais pas ce que j’ai... fait-elle. Les promotions sans doute... On a eu un monde fou... Je suis sur les genoux.
- Ah! ne me dis pas ça, mon Chabichou ! Moi qui avais justement un service à te demander demain...
- Je ferai tout ce que tu voudras, mon Biquet.
En attendant, elle veut qu’il fasse honneur à ses petits fours . En rentrant du travail, elle a fait le détour, pour les acheter chez Hédiard . Elle en a profité pour choisir deux tranches de saumon fumé et un joli poulet de Loué . Et surprise ! quand ils passent à table, elle lui explique qu’ils auront du Gewurztraminer pour le poisson et du Gigondas pour la volaille, car elle a préféré prendre deux demi-bouteilles afin d’avoir du blanc et du rouge plutôt  qu’une seule grosse de blanc ou de rouge. Et puis le Gigondas servira aussi pour le fromage, et le Gewur, s’il en reste,  pour la tarte aux fraises. En conséquence de quoi, Jules ne peut faire moins que féliciter la parfaite maîtresse de maison qu’il a, le fin cordon bleu .
- Tu me gâtes tant, mon Chabichou, lui dit-il en reprenant de la tarte, tu es si prévenante... Il faut que je t’installe mieux... Il faut absolument que je me renseigne sur les réseaux de franchises...
- C’est surtout la gérance d’un magasin Jacadi qui me plairait, fait Lola, mais rien ne presse... Déjà tu es très gentil de nous inviter, moi et mes copains, pour le festival et le tournage...
Pour ce qui est du film, les premières prises ont commencé, les premiers rushes sont prometteurs, Jimmy   fera  parler de  lui  dans  le  Landernau  du cinéma... De fait, Lola n’a qu’une hâte, c’est de passer au lit, afin de satisfaire certaine curiosité qui la tenaille, mais d’un autre côté, elle ne doit pas avoir l’air pressée, sinon il va croire qu’elle veut aller à la bourre, et justement non, tout mais pas ça ! Elle lui demande :
- Qu’est-ce que c’est le service que je peux te rendre demain,  mon Biquet ?
- Comme d’habitude, m’amour . J’aimerais que tu te rendes chez quelqu’un de ma part...
- A Reuilly-sur-Seine, je parie . A la mairie, chez le député-maire M. Thomas Derimel-Durand, comme la semaine dernière .
- Eh ! oui... C’est avec lui que je suis en affaires en ce moment. Tu sais que je lui ai trouvé une maison à côté de Monaco, au Cap-d’Ail... Superbe, pour une bouchée de pain... Mais qui a besoin de gros travaux...

Ce sont les plans de ces travaux que Jules veut soumettre à son client et pour qu’ils ne s’égarent pas, soit à la poste soit dans les services de la mairie, il tient à ce qu’on les lui remette en mains propres.
- Ils sont si précieux ces plans ? s’étonne Lola .
- Tu es toujours aussi curieuse mon Chabichou, plaisante Jules. Comment t’expliquer ? Les entreprises parisiennes que j’emploie par ici travaillent là-bas pour Derimel... Nul n’a besoin de le savoir...
- Et elles font le déplacement ces entreprises ! Pourquoi tu te décarcasses tant pour ce bonhomme?
- Les affaires, Lola !... Les affaires !... Rueilly est l’une des rares communes du 92 où il reste beaucoup de terrain à bâtir... Grâce à Derimel, c’est un programme de cinq cents appartements  que j’ai  pu lancer dans de bonnes conditions...
Les affaires, voilà qui n’intéresse guère la demoiselle, sauf celles qui concerneraient éventuellement les réseaux de franchises mais elle juge que le moment n’est pas venu d’en reparler. Elle allume la télé... Déception ! Un jeune prodige du cinéma français est bien l’invité de Sébastien Cauet,  mais ce n’est pas Jimmy...
- Je vais me déshabiller, dit-elle .
Elle revient de la salle d’eau en pyjama .
- Oh ! s’exclame le pépère déçu, je t’aime mieux en nuisette.
Elle fait la moue . Il ajoute, coquin :
- Ras le bonbon, tu vois c’que je veux dire .
Elle voit . Elle s’excuse .
- Mon pauv’ chéri... J’suis désolée... Tu sais pas c’qui m’arrive... Y a des mois...  ça peut s’produire... J’ai mes trucs, m’amour, j’ai mes lunes...
Le Jules, débonnaire, la console, prenant la chose à la rigolade . Elle se couche . Il se déshabille, tranquille, en pleine lumière . Il enfile son pyjaveste, le laisse ouvert. Il tombe le slip . Il a la bite et les couilles au grand air, qui ballottent, innocentes... Les yeux mi-clos, elle l’observe à travers ses cils, pensant : “C’est pas possible, il va se mettre un slip propre, un tampon quelconque, quelque chose...”  Mais non . Il se couche auprès d’elle, l’embrasse, lui souhaite de beaux rêves et lui tourne le dos pour pioncer.
Va-t-elle en rester là ?
Mille sentiments l’oppressent, mille pensées la harcèlent, sans parler de son minou qui la picote.
Encore heureux   qu’elle  ait  eu l’idée   de   ses histoires de lune !
Mais peut-être que lui est encore plus fort... Qu’il a eu l’idée d’une autre comédie...
Il faut qu’elle sache...
Elle se plaque contre lui. Il grogne un peu . Il s’étonne . Ne lui a-t-elle pas dit qu’elle était out ?
Sa main glisse sur la hanche de Jules, sur son ventre si doux, si chaud, si rebondi. Elle atteint le pubis. Ses doigts jouent un instant dans les poils . Et, à pleine main, elle lui prend la bistouquette, le mot s’impose, Jules étant très petitement monté. Puis, du plat du pouce, elle passe à plusieurs reprises sur le bout de la chose, comme pour une caresse un peu spéciale, en vérité pour essayer de détecter au moins un soupçon de suintement. Que nib ! Tout est nickel, et pour tout dire, de plus en plus, pour ce qui est de la dureté de l’objet de l’examen . Jules bande et gémit, mais surtout il bande, il bande énormément. Sa bite, remarquablement menue au repos, devient, érigée, un instrument très respectable .
Que Lola respecte . Elle estime qu’il est de son devoir de lui faire cinq contre un de la belle manière... Elle lui souffle à l’oreille :
- Tu aimes, mon Biquet ?  Laisse-moi faire...
Et que je t’étrangle le Popol, et que je t’astique la colonne...
- Tu es trop gentille, Chabichou, y fallait pas...
Menteur, va . Et que je te fais mousser...
- Ououou-oui, ou-i, ou-i, je jou-is, je jouis!...
Elle jette un œil .  En vérité, ça suinte, mais que du jus de cyclope tout ce qu’il y a de plus ordinaire, tout ce qu’il y a  de plus  sain  sur  cette  putain  de planète ! . Pas la moindre trace suspecte, ni blanchâtre, ni jaunâtre, ni verdâtre !... Et ce gros porc qui sourit, béat, candide, heureux de son orgasme qu’il sent encore dans ses cuisses, dans son gros ventre, dans toute sa graisse, et dans le dos, de la raie du cul jusqu’a la nuque ... Sans le moindre picotement, lui, ce sagouin, sans la plus petite brûlure dans sa bite redevenue toute petite...
Mais Lola a tôt fait de se reprendre . Elle se reproche les mauvaises pensées qui l’agitent, sa jalousie déplacée . Le sentiment de l’avoir accusé à tort lui taraude le cœur . Chez Lola, le fond est bon. Le cerveau moins. Elle refuse de pousser plus loin sa réflexion . Elle accepte en son for intérieur de laver son Biquet de tout soupçon . Et symboliquement, elle attrape sur sa table de nuit une lingette et lui nettoie le gland, tout en douceur...
- Je vais quand même passer dans la salle d’eau, m’amour, décrète Jules, en l’embrassant.
Ce qu’il fait .
Quand il revient, Lola dort déjà, comme un ange.

Faut le mettre à l’amende

Toni et Riton sont attablés devant un café .
Ces deux-là, ils ont tout pour ne pas s’entendre . Riton est grand, mince, viril certes, mais avec des traits fins. Toni est beau gosse aussi, d’accord, mais dans un autre genre . Pour ce qui est du caractère, ils ne se ressemblent pas davantage. Toni est franc de collier, bavard, rigolard, lâchant parfois des vannes pas trop légères bien qu’il soit rappeur, donc poète . Riton est intello et pince sans rire.
Ils sont copains  d’enfance  et  d’adolescence,  ce qui n’exclut pas les rivalités, bien au contraire.
La preuve, voyez Simone, la belle, la sage Simone . On a peine à le croire, mais c’est Toni qui l’a tirée le premier . En classe de troisième, à une époque où elle croyait à l’avenir du rap parce qu’elle aimait Villon, la pléiade, Gainsbourg, Rimbaud et Verlaine. Ensuite, elle a déchanté, mais comme elle est sensuelle, elle s’est vite raccrochée à un autre, à Riton, et comme elle n’a rien d’une butineuse, elle ne l’a plus lâché . Quant à Toni, il s’est consolé en dépucelant Lola et quelques-unes de ses compagnes, ce qui lui était facile en raison de sa solide constitution, de son peu de goût pour les études et de son talent prometteur de musico .
Des différences, des divergences donc, mais pas assez profondes pour interdire à deux potes de se reparler quand une situation grave l’exige .
TONI - J’ai voulu te rencontrer, c’est rapport à  Lola...
RITON - Je sais . Elle m‘en a touché deux mots, j’en ai parlé à Simone... Tu la connais ...  Un poil chichiteuse, Simone, mais elle acceptera...
TONI - Quoi ?
RITON - Ben, les vacances à Cannes, le festival, le tournage, le clan des Cinq...
TONI - C’est pas de vacances qu’il est question .
RITON - Hein?... Alors de quoi?
TONI, avec une torsion du nez, l’air finaud. - D’une enquête et d’un appel à la justice, ça tombe bien que tu sois quasiment gendarme !
RITON, mi-souriant, mi-sérieux - Fais pas chier avec ça, mec, sinon j’te mets un coup de boule...
TONI  - Te fâche pas ! La main sur le cœur,  Riton, j’te jure que pour moi la gendarmerie c’est la moins pire de la famille poulaga...
RITON - Ouais, te fatigue pas...
TONI - Y a qu’une chose qui m’échappe, Riton...  Avec ton bac plus deux, t’avais dégoté une bonne place dans l’informatique...
RITON - Tu parles !... Y m’ont foutu à la photocopieuse... J’y étais pour quarante ans si j’m’étais pas bougé l’cul . J’avais autant de chances d’en sortir que toi d’entrer à l’opéra comme guitariste...
TONI - Sale con, message bien reçu... Je vois que t’apprécies toujours autant le rap et les rappeurs...
RITON - Y’a rappeur et rappeur...
TONI, l’air vachard - C’est bon . J’suis pas venu pour la chicane, encore moins pour la castagne... J’vais quand même te dire (Cherchant à avoir le dernier mot .) j’vais te dire pourquoi on va avoir besoin de tes qualités de gendarme.

En quelques mots bien sentis, il établit les bilans de santé de Lola et de Bamboula . Conclusion : une enquête s’impose pour confondre le coupable.
TONI - M’est avis qu’on est bons pour un déplacement, mon Riton... Faut battre le fer pendant qu’il est chaud... Allons chez Lola, c’est à deux pas...
RITON  - A cette heure-ci, avant l’embauche...
TONI - L’embauche, tu t’en fous, t’es quasi gendarme. Allez, magne-toi, on y va, avec un peu de veine  on piégera au lit le coucou semeur du mal .
RITON - Qu’est-ce qu’on va leur dire?... Si c’est hier soir seulement que... que Lola a mis son Jules devant ses responsabilités... on va entrer dans une poudrière... Et pour faire quoi ?
TONI - “Une poudrière”, d’accord, c’est toi qui as le mot juste, Riton . C’est toi qui parles le mieux...  A défaut de gendarme tu aurais pu être avocat... Alors ça sera à toi de nous présenter... comme potes de Lola...  sans dire qu’on l’a niquée l’un et l’autre en son temps... c’est pas la peine d’attiser la fournaise... mais en le laissant entendre... tout en sous-entendus... pour qu’il comprenne bien qu’on le sait, qu’il a trempé sa bite dans une moule avariée, c’qui fait qu’il a foutu la castapiane à une brave gisquette comme Lola sans parler de mon Caoua qu’est pour moi comme un p’tit frère...
RITON - Tu crois qu’y faut parler de Bamboula ?
TONI - Non, surtout pas, faisons pas tout sauter ! Il faut dire les choses sans les dire, tout en insinuations... Lola sera là pour nous épauler...
RITON - Dis voir, Toni, si tu devais le rencontrer sans moi ce mec, tu lui dirais quoi, toi ?
TONI - J’irais trop droit au but, du genre... P’tit Jules de merde, t’es un salaud, y faut payer et, suivant la réaction, j’ajouterais : sinon je dis tout à ta femme, et s’il faisait mine de s’en foutre, je lui mettrais la tête au carré.
RITON - Et si je prends les choses en main avec plus de diplomatie on le met à l’amende de combien?
TONI - De quoi nous payer la semaine du festival dans le plus grand palace de Cannes, tout compris.

La mallette

Avant même que nos deux compagnons appuient sur le bouton de l’ascenseur, dans le hall de l’immeuble où Lola habite , les emmerdes commencent.
Bamboula sort du cagibi des poubelles et les rejoint . Il a les yeux gonflés, il est frigorifié, tout tremblant de fièvre malgré les antibiotiques que le docteur lui  a ordonnés et qu’il a  pris .
- Chez moi, je pouvais pas dormir, explique-t-il. Je pensais qu’à me venger de ce sale porc là-haut, qui m’a  fait passer sa chtouille . Je rêvais que je lui arrachais les tripes, que je lui enfonçais j’n’sais quoi dans sa nusse, peut-être une hallebarde... Et surtout je voulais revoir Lola ... Rien que la revoir, mais j’ai pas eu le courage de monter...
Riton lance à Toni :
- Dis à ton négro de la boucler et de s’casser, y nous retarde.
- Sale raciste ! fait le môme.
- Mais non, mon p’tit Caoua, tu connais Riton ! dit Toni . Il est pas comme ça, dans le fond il a raison... On a une affaire à  régler la haut, de toute urgence, et déjà la présence de Lola sera de trop...
- C’est pas Lola qui va beaucoup vous gêner, gémit Bambou,  elle est partie aux aurores, l’air pressée...
- Tu lui as parlé ? demande Toni .
- Non, répond  le gamin, en s’adressant ostensiblement à Toni, j’ai pas osé, j’ai eu peur de lui faire peur avec mon envie d’étripailler son mec...
- 0n monte ou non ? s’impatiente Riton, qui maintient bloquée la porte de l’ascenseur.
- On y va, décide Toni, en posant son bras sur l’épaule de Bamboula pour l’emmener avec eux.

Ils toquent, la porte s’ouvre . Jules est en bras de chemise . Étonné, il continue de peigner, ou plus précisément de lustrer les  poils  ras  et  rares  qui couronnent sa calvitie.
- On est des potes à Lola ! s’exclame Bamboula.
Toni empoigne son frelot par son tricot dans le dos et le fait passer derrière lui.
- Ses copains, enchaîne Riton .
Il nomme chacun d’eux .
- Soyez les bienvenus, fait Jules, Lola m’a parlé de vous, entrez .
Bamboula échappe à Toni et se précipite dans le studio .
- Il est impulsif, sourit le pépère, en invitant les deux autres à le suivre .
- C’est vrai qu’il n’est pas très bien en ce moment... commence Toni.
Mais Riton lui met un coup de coude dans les côtes pour lui faire comprendre qu’il convient d’entamer les négociations moins abruptement.
Comme il n’y a que trois chaises dans la pièce, le Titi négro s’installe sur le lit qui n’est pas fait . Il  en profite pour soulever le drap du dessus afin de mieux examiner celui de dessous .
- Il est curieux , note Jules .
- Je cherche des taches... grogne le môme .
- Il veut dire... des cartes de France... tente de suggérer Toni qui a compris, lui, qu’il ne fallait rien  brusquer.
- Celle-là faut pas me la faire, Toni, ricane Bambou, le nez sous la couverte . La carte de géographie, je sais c’que c’est, c’est la trace sur un drap quand t’as juté avec une bite en bonne santé, mais moi c’est pas ces taches-là que je cherche .
- Il parle cru, ce jeune homme dit Jules sèchement, avec une grimace qui n’augure rien de bon .
- Ah! ces gamins d’aujourd’hui, soupire RIton . Celui-là en particulier... Moi-même, je ne comprends pas toujours ce qu’il veut dire...
- Mademoiselle Lola ne m’avait pas parlé de lui, laisse tomber le bonhomme .
- Alors ça c’est la meilleure ! s’indigne le renifleur. Eh !  Riton, dis-y toi qu’on s’connait, Lola et moi, et que même c’est pour ça qu’on est venu...
- De fait ... commence Toni .
- De fait... coupe Riton , Lola nous a parlé d’une gentille proposition que vous souhaitiez nous faire.
- En effet... en effet... A l’occasion du festival de Cannes, pour le tournage que vous savez, je serais heureux de vous accueillir tous les deux...
Son doigt désigne Riton et Toni .
- Bande de cons, grogne Bamboula .
Furieux, l’oublié, le rejeté quitte la pièce et va s’enfermer dans la salle d’eau .
- Il faudrait prévoir pour nous un bon hôtel, attaque Toni, qui estime que les préliminaires ont assez duré .
Jules grimace, ne sachant sur quel pied danser .
- J’ai entendu parler du Carlton , susurre Riton.
Jules retrouve son sourire.
- Elle est bien bonne, dit-il . Votre idée de mêler des apprentis figurants avec les plus grandes vedettes internationales est à retenir...
- Je ne plaisante pas, tranche Riton, sévère.
- On se fout du prix des piaules, gronde Toni, vu qu’on a trouvé quelqu’un qui paiera .
- Parlons clair, propose Riton .
C’est alors que le titi négro sort de la salle d’eau en criant non pas “eurêka”  mais  “j’ai trouvé”. Il brandit d’une main un plumeau et de l’autre des tubes de cirage.
- A poil ! A poil ! crie-t-il , en amorçant une danse du scalp autour de leur hôte.
Danse inconvenante s’agissant d’un chauve.
Bref, il veut lui passer la bite au noir, les couilles au rouge, et lui planter le manche de son ustensile dans l’cul.
- Du calme, mon Caoua, rigole Toni .
- Pas de voie de fait , s’interpose Riton .
- La nusse je sais pas si c’est une voie de fait mais c’est une voie naturelle et je veux lui enfoncer ça profond,  proteste en se tordant de rire le môme déchaîné .
Toni réussit à le renvoyer dans la salle d’eau pour y ranger son matériel de maquilleur vengeur.
Riton se racle la gorge pour annoncer à Jules que le moment est venu de parler sérieusement.

Le foutu Caoua resurgit alors de la salle d’eau en traînant une valise . Il se dirige vers Toni .
- T’as vu le bagage du vioc, lui dit-il, le cuir, les roulettes,  le luxe, la classe . Et dedans, regarde, un ordinateur super... Et ça, je m’demande ?...
Il tient entre ces mains une mallette, ce que voyant Jules bondit, et la lui arrache, criant à l’adresse des deux autres  :
- Il n’a pas le droit, débarrassez-moi de cet énergumène ! Il est malade !...
Toni fait mine de retenir son Caoua, mais celui-ci lui échappe et récupère la mallette . Jules veut la lui reprendre, mais Riton l’en empêche, sous prétexte d’éviter un malheur :
-  Vous n’allez pas nous le tuer,  Monsieur  Jules, dit-il, c’est un ado, il est teigneux et plein de défauts, mais c’est un ado, et vous l’avez bien dit, il est malade...
- ça tombe bien que vous reconnaissiez que mon frangin est un énergumène malade, dit Toni, il faut qu’on vous  parle de lui et de sa maladie...
- Vous dites “frangin”, s’étonne le bonhomme, vous voulez dire “frère”... lui noir, vous blanc ?...
- C’est un peu spécial, s’interpose Riton, je vais tout vous expliquer...
Pendant ces beaux discours, le Titi négro s’acharne vainement sur la mallette pour essayer de l’ouvrir . La clé! il lui faut la clé, sans elle il n’y parviendra pas . C’est alors qu’il repère la veste à pépère pendue au portemanteau sur pied dans l’entrée . Il y va, s’en saisit, la secoue, ça cliquette... La plus petite clé du trousseau est la bonne... Clic-clic... Il ouvre .
- Oh! les mecs...
Il ne peut en dire davantage, sa voix s’étrangle .
- Vous n’avez pas le droit ! hurle Jules en se précipitant ver son bien .

En même temps qu’ils le retiennent, Toni et Riton découvrent le trésor : des billets de banque, rien que des grosses coupures, dans une valoche pleine à ras bord .
TONI, balbutiant . - Merde ! ça en fait du blé ...
RITON, pesant de tout son poids sur les épaules de Jules pour l’asseoir .- On se calme .
JULES - Oh! mon Dieu...  Je comprends tout... Elle est votre complice... C’est elle  l‘inspiratrice...
BAMBOULA - De qui qu’y cause ?
JULES - Qui l’eût cru ?... Avec ses petits airs d’oie blanche... Une petite traînée que j’ai installée dans ses meubles
BAMBOULA - Toni! Toni!  tu l’entends ce croulant? ça serait ti pas Lola qu’il attaque?
( Ce disant, il élève la mallette au-dessus de la tête dudit vieux jeton mais Toni l’arrête .)
TONI - Un peu de respect, môme .
BAMBOULA - Et lui, il a respecté Lola ?
TONI, s’emparant de la mallette. - Un peu de  respect pour l’argent .
RITON - Parlons net .(Il détache ses mains des épaules de Jules afin de se placer face à lui, penché vers lui, mains aux hanches, les yeux dans les yeux.) .Lola n’est pas au courant de notre visite,  vous me croyez ?
(Le regard commente : “Dis oui, sinon j’t’en colle une dont tu te souviendras”.)
JULES - Oui, oui... .
RITON - Je ne sais pas si Lola baigne dans vos combines, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne nous en a jamais parlé, vous me croyez ?
JULES - Oui, oui...
RITON - Dernier point, nous étions venus vous mettre à l’amende. Eh bien, vous en avez vous-même fixé le montant, on embarque la mallette .
JULES - ça va pas, non!....
(Jules se lève, Riton le rassied .)
BAMBOULA, à Riton . - T’es trop cool, mec , trop cool !  Sors’y la bite, je vais rechercher le cirage...
RITON, à Toni, sans quitter Jules de l’œil. - Tire moi ton négro des pattes et tâche de le raisonner.
TONI - Riton a bien parlé mon p’tit Caoua . Il n’a pas tort... Lola connaît les tenants et les aboutissants de l’affaire, elle expliquera au monsieur le pourquoi et le comment de l’amende...
JULES - Une amende!... une amende!... Vous savez combien il y a dans cette mallette ?
RITON - Dans les cinquante mille euros...
JULES - Exactement, et vous comprendrez que pour une somme pareille, j’aurai téléphoné aux flics avant que vous soyez sortis de l’ascenseur .
RITON - Je n’en crois pas un mot, monsieur Jules. J’ai fait un stage dans une banque où l’on m’a appris à flairer l’argent provenant de trafics et magouilles en tous genres...
TONI, qui n’aime pas perdre trop longtemps le leadership. - Bon, assez de parlotes, les mecs On se casse .

La mallette sous le bras, il se dirige vers la porte. Les deux autres le suivent. Avant de sortir, le trio salue bien bas le pauvre Jules, sans oublier de lui dire  qu’ils espèrent le revoir sous peu à Cannes.
Dans la rue, le Titi négro traîne la savate derrière ses aînés . Soudain, se ravisant, il les rejoint et les attaque:
- Vous êtes que des lâches, des bouffons . Tout pour le fric, le fric, le fric... Qu’un vieux jeton abuse de Lola, vous vous en foutez...
- Ta gueule,  réplique Toni .
Mais pour adoucir l’injonction, il ouvre la jolie caisse et en sort un billet de cinquante euros qu’il tend à son frelot . Celui-ci le refuse .
- T’as tort de pas le prendre, dit Toni. J’te connais. Sous peu, t’auras plus la chtouille, mais t’en continueras pas moins à être tracassé de ce côté-là . Avec mon bifton, tu pourrais te payer une pute...
Toni tient le billet à bout de bras . Bamboula hésite, puis saute et s’en empare .
Il ne boude plus . Il a même envie de rigoler .
La suggestion de Toni lui a fouetté l’imagination.
- Quand je pense, délire-t-il, qu’avec cette petite valoche qu’a l’air de rien, je pourrais m’en payer mille... Une petite valoche égale mille putes... autant de vulves... le double de pattes en l’air et de nichons... Si je commençais par les motor-homes du bois de Boulogne et autres camionnettes du bois  de Vincennes, même si j’en visitais trois par jour,  il me faudrait presque un an pour en venir à bout...  Tu te rends compte, Toni, un an de partouzes...  Le matin tu en tringles une, à midi une aut’ te suce et le soir, avec la plus chaude, tu embrayes sur un 69 avant qu’elle te fasse le grand jeu et toutes les positions du Kamasutra... Qu’est-ce ‘ t’en dis ?
Parlant à Toni de son protégé, Riton note :
- C’est vrai que c’est un énergumène .
- Il est pas toujours comme ça, s’excuse Toni . C’est l’âge, et l’abstinence pour cause de force majeure . Autrement, il a le cœur sur la main, et tu le verrais sur un terrain de basket ...
- Bof!... fait Riton .
Du basket, Riton s’en tamponne . Pour lui, seule compte l’équipe de foot du PSG . Au demeurant le trio arrive place de la  République . C’est dans ce secteur que Riton a sa boîte, où il va pointer avec une grosse heure  de retard .  Il  quitte  ses compagnons d’équipée à l’entrée du métro .
- Je te laisse la mallette, dit-il à Toni .
- D’accord, fait Toni qui la porte sous le bras et n’a jamais eu l’intention de s’en séparer .
Intuitif, le Titi négro intervient, soupçonnant un brin de tension sous ces simples propos :
- A plus, Riton, on s’passera un coup de fil pour un rancard et décider de s’qu’on fait du magot, pas vrai Toni?
- Bien dit, l’énergumène, à plus Riton .
Sur ces mots, prenant de son bras libre son frelot par les épaules, Toni s’engouffre avec lui dans les profondeurs du métro.

L’autre mallette

Les mecs, Souchon l’a dit, parlant des jupes, ils sont dupes . Il le savent, dessous, y a rien à voir, et ils continuent de mater . Lola, reine de la mini, ça l’amuse . Malgré les circonstances, elle s’est sapée super sexy . Si elle avait moins la tête en feu, elle compterait ceux qui la lorgnent . Mais elle est trop préoccupée . Elle a pris le métro, puis le RER, pour avoir le temps de réfléchir, bien que Jules lui ait donné l’argent pour un taxi...
La fois précédente, elle avait pris le taxi . Elle ne pouvait pas faire autrement, à cause de la mallette, sachant pertinemment qu’elle contenait cinquante mille euros . Est-ce l’importance de la somme qui avait déboussolé ce salopard, ce dégueulasse, le député Thomas Durimel-Durand, maire de Rueilly-sur-Seine... Et qui l’avait, elle, disons... fragilisée . Parce que, Lola, il ne faudrait pas croire qu’elle est une fille facile... Elle a couché, d’accord, souvent... Mais sa puberté, et même sa majorité, sont loin derrière elle,  elle va bientôt coiffer la Sainte Catherine, et le nombre de ceux qui ont réussi à se la faire, on peut presque les compter tous sur les doigts des mains, avec ceux des pieds on en a de trop...  Et jamais, au grand jamais, elle n’a effeuillé la marguerite le premier jour, sauf un soir, dans une boîte, mais on l’avait droguée à l’insu de sa volonté . Autrement, jamais.
Cela dit pour bien faire comprendre le caractère exceptionnel de la tournure prise par les événements lors de sa première rencontre avec Durimel .
Maintenant elle sort du RER. Avant d’arriver à la station, elle a repéré par la fenêtre l’arrêt des bus. Faut reconnaître que le taxi s’est bien commode. D’un autre côté, elle a économisé une jolie pincée d’euros . Et surtout, elle s’est donné du temps pour établir un plan d’attaque... Mais qui n’est pas au point, alors qu’elle est presque chez M. le maire.
L’autre jour, je suis entrée dans son bureau... se souvient-elle . D’abord des banalités... Le ton a changé quand je lui ai dit que je savais ce que contenait la mallette... C’est vrai qu’il est bel homme, du genre Bill Clinton . Et je vais vous dire, ma comparaison, elle est pile-poil, je serais moins stressée, je me ferais rigoler . Abrégeons . De l’argent de la mallette, Durimel est passé à une invitation à dîner dans un deux étoiles, disant que cela valait bien une petite gâterie préalable, à consommer sur place .  Puis il a gentiment, comme par taquinerie,  posé ma main sur sa braguette pour que je sente qu’il bandait. C’est alors que, pensant à Bill Clinton, je lui ai dit que je ne mangeais pas  de  ce  pain-là, passez-moi l’expression,  parce que je n’aime pas le goût et que c’est une pratique de pute. Croyez-vous que ça l’a rebuté? Il a passé un coup de fil pour demander qu’on ne le dérange pas . Et comme pour me féliciter de mes principes, il m’a embrassée... Il a la main leste, le fripon... Il m’a peloté le dos... les fesses... un peu devant... Flip!... Il a fait glisser mon slip... J’ai dit non, ça oui, j’ai dit non... Il a quand même continué à m’échauffer, à m’exciter, comme c’est pas permis!...  Il m’a assise sur son bureau... Le maladroit! le souvenir, s’il était sans tache, serait marrant ... Le sauvage ! dans sa hâte, il m’avait posée trop en arrière... y pouvait pas faire entrer sa verge...  alors y m’a ramenée sur le bord, et là, ça a marché, c’était juste le bon emplacement pour favoriser ces resserrements de mes parties intimes que je sais faire et qui font que je suis un bon coup si j’en crois ce qu’on me dit.
VA aucun moment, forcément, ni avant, ni après, je n’ai examiné sa bite pour voir si elle était purulente ! C’est pas une chose qui se fait!, hein ! les filles ? J’ai bien le pouce habile des nanas d’aujourd’hui, habituées au téléphone portable, mais ce  n’est pas convenable de mettre sans crier gare la main dans la braguette d’un monsieur pour prendre des nouvelles de la santé de son zob.
Pourtant, si je m’étais méfiée, surtout avant, j’aurais sans nul doute découvert des traces suspectes . Car le semeur de merde, c’est lui.
Oui, c’est lui le coupable, c’est indiscutable, et je vais lui dire son fait, et il va voir comment une ingénue, une niaise, une oie blanche peut se transformer en tigresse

Lola descend du bus devant la mairie, qui est une belle bâtisse de briques, de style second empire. Le bureau de Durimel est au premier . Le sachant, Lola va droit vers l’escalier . Mais l’hôtesse à l’accueil la hèle pour lui demander ce qu’elle cherche . Difficile de passer inaperçue . A l’étage, autre filtre, le cabinet du maire, une pièce où deux matrones se détachent à regret de leur ordinateur et  l’interrogent avant de l’orienter vers la pièce suivante, avec sur le visage une expression propre à décourager son franc sourire et le mouvement décidé de sa jupe mini . Dans l’antichambre enfin, une secrétaire assez jolie fille qui, elle, ne fait pas semblant de ne pas la reconnaître : elle toque à la porte du maire , l’introduit  et se retire.
Il est là Thomas Durimel-Durand, debout derrière son bureau, penché en avant, les mains en appui sur le rebord, mi-souriant, mi-inquiet .
DURIMEL , d’une voix douce. - Bonjour, Lola .
LOLA , lui lançant à la face le paquet qu’elle porte.
- Les voilà vos plans de votre villa de Monaco !
DURIMEL - Tu te trompes Lola, il ne s’agit pas de Monaco...
LOLA, criant . - Mais si!... Monaco ! Jules m’a dit Monaco... (Elle hurle.) Mo-na-co ! Pourquoi me mentir encore ! (Les larmes aux yeux.) Pourquoi toujours me tromper, me salir !
DURIMEL - Monaco si tu veux, Lola, le Cap d’Ail est à côté... (Quittant son bureau.) Mais nous avons autre chose à nous dire, n’est-ce pas, Lola ma jolie, ma petite folie...
LOLA - N’approchez pas monsieur !... Monsieur le Maire !  Ne prenez pas ce ton tout sucre,  tout miel... ça ne marche pas avec moi ! J’ai plein de choses à vous reprocher ! Vous êtes un gros... un gros malhonnête, monsieur !
DURIMEL, l’air grave, sourcils froncés. - Je plaide non coupable, Lola, laisse-moi plaider ma cause...  Le terme de malhonnête ne convient pas...
LOLA - Oh ! oh !  La prise de tête!... Vous essayez de m’emberlificoter, monsieur, mais je ne marche plus ! Vous êtes malhonnête, là preuve... la preuve...
DURIMEL - Eh bien, quelle preuve ?
LOLA - Ne serait-ce que la mallette de cinquante mille euros...
DURIMEL (sévère) - Il s’agit d’affaires entre Jules et moi, Lola . Je croyais que tu avais autre chose à me dire ?
LOLA - Oui, j’ai autre chose! Parce que vous êtes, Monsieur, vous êtes, sous vos airs à la Bill Clinton, vous êtes un gros... gros... je ne trouve pas le mot fort qu’il me faudrait.
DURIMEL - Je vais t’aider, Lola. Je suis coupable de t’avoir fait partager un petit désagrément...
LOLA - Un petit quoi ? Le docteur appelle ça une infection, ni plus ni moins, voilà !
DURIMEL - Ouais... On parlait même autrefois de maladie honteuse... Mais nous ne sommes plus au Moyen Age... Il n’y a plus de honte... Un brin d’étonnement peut-être...
LOLA - Une chose est sûre, je ne demandais pas  à...  à  partager, moi, monsieur !
DURIMEL - Moi non plus, laisse-moi t’expliquer comment tout cela s’est enchaîné... Deux jours avant notre rencontre, j’ai participé à un souper d’affaires, suivi d’une soirée dans un club sélect, tous frais payés...
LOLA - Et alors ?
DURIMEL - Parmi ces frais, pour chaque participant, une escort-girl de première classe avait été retenue...
LOLA - Autrement dit une call-girl...
DURIMEL - Non, non..  Plutôt une demoiselle de compagnie,  non dépourvue d’allure et de culture...
LOLA , criant . - Et moi je dis une putain !
DURIMEL, criant . - Ce n’était pas une putain ordinaire !
LOLA, de plus en plus fort . - C’était une putain quand même ! Une vraie pute ! Une sale pute ! Contaminée, gangrenée jusqu’à la moelle...
DURIMEL - L’exagération dans les mots  n’avance en rien nos affaires...
LOLA - Quelles affaires ?...
DURIMEL - Je plaide non-coupable, Lola, mais je reconnais que je suis responsable...
LOLA - Salaud!... Alors tu le savais que tu avais chopé la mauvaise bactérie et tu as quand même abusé de ma... de ma simplicité,  de ma faiblesse... Tu m’as traitée comme une sous-pute!... (ELLe éclate en sanglots.)
DURIMEL, un bras sur ses épaules, lui parlant à l’oreille . - Non, non, ma jolie !  En veux-tu la preuve...  Ma femme aussi... Je n’ai pas su interpréter les premiers avertissements de Dame nature...
LOLA - Quoi, ta femme ? Tu lui as... filé... (la recherche  des mots la fait rire.)  la chtouille ?...
DURIMEL -  Oui, ça t’amuse ?
LOLA - Ta femme, non... Mais le chaud lapin que tu es, oui ...
DURIMEL - Restons sérieux .  Je suis responsable, Lola, mais pas plus que toi si ce brave Jules est à son tour touché...
LOLA - Il ne le sera pas, Monsieur, car j’en tiens compte, moi, des avertissements de Dame nature...
DURIMEL - Parfait . Pour clore cet incident, je te rappelle, chère enfant, que je t’avais promis un dîner dans un restaurant sortant de l’ordinaire . Mon invitation tient toujours...
LOLA, tapotant du doigt le rebord du bureau . - Pour me faire oublier votre attaque à la cosaque?
DURIMEL - Tu sais que tu es pleine d’esprit, toi, et si émouvante quand tu sèches tes larmes, et si belle quand tu retrouves ton sourire . L’autre jour, c’est vrai, nous avons cédé à une sorte d’emballement, disons-le, assez peu romantique, quoique, dans cette ardeur, il y avait quelque chose qui tenait du coup de foudre... Nous en reparlerons dans un autre endroit si tu veux.... Tu ne dis plus rien ?
LOLA - Non, mais je pense... Et je me dis que je suis venue pour me venger en vous griffant comme une tigresse, au lieu de quoi je vous écoute...
DURIMEL - Voilà ce que je te propose, Lola ? Il se fait tard, il faut qu’on se quitte, mais compte sur moi pour te rappeler... Je te passe un coup de fil dès que nous serons en meilleur état, et tu verras, tu ne seras pas déçue...

Monsieur le maire raccompagne sa visiteuse jusqu’à la porte de son bureau . Avant de sortir du secrétariat, elle se retourne et reçoit son dernier salut : un grand geste du bras , celui du mousquetaire enlevant son chapeau, ou, si l’on préfère, le geste auguste du semeur.

Au gendarme et au voleur

Toni n’a jamais voulu squatter . Au pire, il va dormir à Nanterre, dans une cave . Mais le plus souvent, il vit à l’hôtel, depuis que ses parents ont pris leur retraite en Auvergne . Il connaît tous les bouis-bouis de la capitale . La chambre qu’il occupe ce soir n’est guère reluisante . Elle n’est pas non plus bien grande, assez cependant pour qu’il recueille Bamboula .
- J’veux pas rentrer chez ma mère, lui à dit le môme, parce que,  malgré qu’elle sait pas lire, elle va deviner le pourquoi de mes médicaments,  et je veux pas qu’elle sache...
- T’es chiant ...
N’empêche qu’il s’est laissé attendrir le mastard.
Riton, lui, n’a pas quitté la Cité des Fleurs . A deux pas de chez ses parents, il a trouvé une pièce au dernier étage d’un vieil immeuble . Mais pour prix de son autonomie, il n’a ni l’eau courante ni les toilettes chez lui . Quand il veut utiliser ces  “commodités”, qui se trouvent sur le palier, il doit tendre l’oreille pour s’assurer que quelqu’un ne l’a pas devancé.
La perspective de quitter ce médiocre logis pour une claire demeure dans une belle gendarmerie devrait le réjouir . Il n’en est rien . Depuis qu’il sait qu’il a réussi son concours, il est de mauvaise humeur . Ce soir en particulier . C’est pourquoi il appelle Toni au téléphone .
- Salut, lui dit-il, juste un mot : qu’est-ce que tu compte faire de la mallette ?
- Sois tranquille, mec, elle est bien là, en toute sécurité, je vais dormir la joue dessus.
- Comme un voleur, laisse tomber  Riton .
La conversation s’interrompt,  Bamboula voulant savoir ce que ses aînés se disent .
- C’est sans rapport avec mon concours,  reprend Riton, mais je t’avertis, je n’ai nullement l’intention de jouer au gendarme et au voleur .
- Il n’en est pas question, mon Riton, réplique Toni . Tu étais avec nous, tu sais comme moi que le vioc, on l’a mis à l’amende, point barre, tu sais ce que c’est qu’une amende.. .
- Sois raisonnable, Toni . Cinquante mille euros!...  Toi et moi, gamins, on a fait des conneries, soit...  Mais on n’est pas des vrais voleurs !...
Après une longue discussion, les deux garçons tombent d’accord pour ne rien faire avant d’avoir consulté Lola, qui leur dira comment Jules a pris leur équipée .
Avant de fermer son portable, Riton demande :
- Et ton p’tit moricaud, Toni, qu’est-ce qu’il en pense en fin de compte ?
- Il te fait un doigt d’honneur, mon Riton, et il s’en donne la peine, s’il pouvait te le mettre où je pense,  il te l’enfoncerait jusqu’aux oreilles.

Tu sais pas tout

Aujourd’hui, Lola, c’est son jour de shampouineuse, elle va donc travailler aux côtés de Simone, mais elle a tant à lui dire qu’elle lui a donné rendez-vous au café une demi-heure avant l’ouverture du salon .
Simone arrive la première, tout fraîche, toute mince, toute grande, toute belle . Elle soutient la comparaison avec Lola,  mais  brille  dans  un genre fort différent . Son jean est sexy, mais c’est un jean,  son corsage bellement échancré mais sur de la lingerie fine, son regard séducteur mais intimidant, bref, un Durimel l’admirerait sans que l’idée lui vienne de la prendre pour la poser sur le bord de son bureau .
Et voici Lola, toute pimpante, le corsage déboutonné juste comme il faut, en mini, en harmonie avec cette belle matinée de printemps, avec le rayon de soleil qui entre avec elle dans le bistrot .
Elle rejoint Simone, s’installe, lui sourit, mais Simone ne se départit pas de son air sévère .
LOLA - Ne perdons pas de temps, j’ai des tas de choses à te raconter .
SIMONE - Je sais .
LOLA - Non tu ne sais pas !
SIMONE - Je sais que tu as eu tort de te mettre en ménage avec ce vieux de Cannes...
LOLA - Mais je ne me suis pas mise en ménage !...
SIMONE _  Tu as eu tort de t’acoquiner avec ce vieux type, qui te loge gratis depuis bientôt un an,  qui t’entretient...
LOLA - Voyons, Simone, pas toi ! Je continue de travailler, avec toi!... dans cinq minutes on sera au boulot ...
SIMONE - Ce sale bonhomme, ce mec odieux, qui te fait des cadeaux ... (A l’oreille de Lola.) avec en prime une maladie vénérienne, bravo ma fille !
LOLA, accablée  - C’est pas vrai !... C’est pas lui!...
SIMONE - Comment as-tu pu en venir à te faire entretenir par un vieux, de plus de quarante ans, qui en plus d’être vieux est vicieux ! Un sagouin qui a femme, enfants, maîtresse et qui va, dans les  pires bouges sans doute,  se ramasser une saloperie qu’on ne trouve plus que dans les livres de médecine.
LOLA, plaintive. - C'est pas ça, tu n'sais pas tout !...
SIMONE - Mais si je sais tout ! Qu’est-ce que tu crois ? (Avec un léger sourire.) Dans le Clan des Cinq,  on n’a pas de secret ! Je suis au courant pour Bambou... Enfin quoi, ma Lola!... On en a souvent parlé... Ce n’est pas le vice qui te pousse, j’en suis sûre... Ni même la recherche du plaisir à tout prix... Mais tu n’as pas de principes ! Et faut-il que tu sois ingénue, ma pauvre chérie, et légère, et frivole pour avoir cédé une fois de plus à un ado comme lui, impulsif, au tempérament vraiment spécial...
LOLA - On voit que tu ne le connais pas !
SIMONE - Mais si je le connais . Quand j’ai quitté Toni pour Riton, (Avec un sourire complice .) quand on a fait l’échange, Toni pour toi,  Riton pour moi, il a cru que j’étais une fille facile... Un soir, au concert des Nuts, il s’est glissé derrière moi et il m’a pris les seins à pleines mains ...
LOLA - Tu l’as giflé ?
SIMONE - Mais non, même pas . Je lui ai fait les gros yeux, c’est tout, c’est un enfant... Le fond est bon . Il lui faudrait une copine sérieuse, ayant un peu de poids, et de tempérament...
LOLA - Comme toi !... Laisse-moi placer un mot, Simone ... Je ne t’ai pas demandé de venir pour te parler de Bamboula...
SIMONE - Je sais .Et j’ai accepté ton rendez-vous parce que je suis entièrement d’accord avec toi au sujet de la mallette . Je me doute que ton mironton de  Cannes  a  poussé  les  hauts  cris   quand  tu  es rentrée ? Normal... Ce vieux birbe a beau être le dernier des dégueulasses pour t’avoir fait ce qu’il t’a fait, on n’a pas le droit de le voler . Un vol, c’est un vol . Et je l’ai dit à Riton . Ou vous rendez la mallette à ce salopard ou je te quitte, Riton, à toi de convaincre Toni...
LOLA - Il lui ont présenté la chose comme une amende ...
SIMONE - Je sais .
LOLA - Non tu ne sais pas ! Jules ne méritait pas cette amende, voilà !
SIMONE - La question ne se pose pas comme ça ! Un vol est un vol,  même si le volé est lui même un voleur en plus d’être un sagouin...
LOLA - Il est ce qu’il est mais ce n’est pas lui qui m’a contaminée .
SIMONE - Hein ?
LOLA - Tu vois, tu sais pas tout...
SIMONE - Comment ce n’est pas lui ? Alors c’est le petit Caoua, qui n’a jamais un sou vaillant ?...
LOLA - Ce n’est pas Bamboula.
SIMONE - Ne me dis pas qu’en plus de ton séducteur de la Côte, en plus de notre chaud lapin, et en même temps, tu... tu ...

Mais si, mais si, elle va tout lui dire . Avec quelques larmes aux coins des cils, soutenue par les douces pressions sur son bras d’une main de son amie, elle lui raconte sans rien lui cacher ses deux rencontres avec M. Thomas Durimel-Durand .

Abus de biens sociaux

Deux jours ont passé . Ce soir, Riton attend ses potes à la terrasse d’un café en buvant une bière et en se disant bêtement que c’est là un bon entraînement au métier de gendarme . Ancun autre souci ne l’agite : il a pris l’avis de Simone, son choix est fait, il a décidé de rendre la mallette à Jules .  Toni sera prié de la lui remettre ou de la rapporter à son propriétaire .
Et voilà Toni qui s’amène, immense, le nez toujours aussi torve, la guitare en bandoulière, un journal sous le bras,  flanqué de son Caoua .
Tous deux s’asseyent et commandent des pastis . Toni étale sur la table son journal. Bamboula le tapote d’un doigt .
- Le pastis, c’est pour nous préparer à notre voyage dans le midi, sur la Côte, commente Toni, en mettant sous les yeux de Riton le gros titre qui annonce la prochaine ouverture du festival de Cannes .
RITON - Je vois... Mais il faut d’abord qu’on se parle . Il faut rendre la mallette...
TONI - Niet, que nib!...
BAMBOULA - Peau de bite et balai de crin, oui !...
RITON - Il faut penser à Lola ...
TONI - Lola m’a encore cassé les couilles toute la journée au téléphone avec ça : que son Jules veut la foutre à la porte de chez elle, et lui couper les vivres, et la ruiner de réputation auprès de ses employeurs, prétextant que ses potes sont de la racaille, prétendant qu’une amende n’a pas de sens .
RITON - Son Jules a raison, il n’a pas la chaude-lance, lui .  L’arroseur, c’est pas lui...
TONI - On est au parfum... .
BAMBOULA - Même qu’ y aurait beaucoup  à dire, vu que, Lola... voilà une nana qui, des fois, fait la chichiteuse avec moi... et elle va se farcir un mâle de la haute  en  banlieue...  Je regrette de pas avoir les moyens de me payer un portable, elle m’aurait entendu ...
RITON - Toni !
TONI - Ouais...
RITON - Dis à ton moricaud de la boucler, sinon je vais être obligé de lui claquer la gueule .
TONI - T’as raison,  Riton . Il est temps de passer aux choses sérieuses. Tiens, Bambou, ouvre le journal, page cinq, faits divers, qu’est-ce que tu lis ?
BAMBOULA, un doigt sur le journal . - C’est là ! (Lisant) Abus de biens sociaux.... Na-na-na-na... Le député-maire Thomas Durimel-Durand... (Cessant de lire.) C’est lui le salaud, ce gros porc... (Reprenant sa lecture.) na-na-na... déjà condamné... na-na-na... et pourtant réélu...
TONI - C’est plus loin, plus bas .
BAMBOULA - à nouveau inquiété... interpellé... mis en examen... na-na-na... des perquisitions à son domicile et dans son bureau de la mairie... des dossiers compromettants...
TONI - C’est là, lis lentement, qu’on savoure, mon p’tit Caoua...
BAMBOULA - des dossiers... na-na... et une mystérieuse mallette contenant cinquante mille euros .
RITON - Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est notre mallette ?...
TONI, rigolard.  - Eh! mec, tu as dit “notre” sans que je te force !... Mais non, c’est pas la nôtre !
BAMBOULA - Le Jules à Lola, c’est un grand distributeur de cachetons... Depuis huit mois qu’y sont  à  la colle,  Lola en  a  vu  passer  quatre,  des mallettes... elle en a livré deux, la nôtre, c’est la cinquième.
TONI - Et cette cinquième, on a intérêt à la garder,  pour protéger Lola, si l’enquête s’intéresse à celle qui a porté le  mystérieux magot...
BAMBOULA - Et aussi pour punir son proxo de l’avoir mise en danger...
TONI - Pour avoir barre sur lui, comprends-tu, Riton, pour qu’il ne la charge pas au cas où... C’est peut-être une grosse affaire qui commence .
RITON , revenant à la première page du journal . - Nous voilà loin du festival ...
TONI - Au contraire.
BAMBOULA - On va faire savoir à Jules qu’on est prêt à lui rendre son précieux pacson, mais sur place, à Cannes...
TONI, pointant du doigt Bamboula. - C’est lui qu’y a pensé!  Tu es malin comme un singe,  mon Caoua...
RITON - J’suis d’accord pour la comparaison .
BAMBOULA, riboulant des prunelles . - Fais gaffe, Riton, j’suis moins con que j’en ai l’air, j’connais la vanne, j’ai vu les singes du Parc des Princes ...
TONI - Laisse tomber, môme ! Si j’me gratte sous les bras en te regardant, tu vas quand même pas monter sur tes grands chevaux !
BAMBOULA - Oui, mais toi c’est pas pareil...
RITON - On en était à la restitution de la mallette ...
BAMBOULA - On y mettra des conditions .
TONI,  s’adressant à Bamboula . - La première ?
BAMBOULA - ça aura lieu à Cannes .
TONI - La deuxième .
BAMBOULA - A Cannes, où Jules nous reçoit et nous loge, le Clan des cinq au grand complet .
TONI - La troisième .
BAMBOULA - Il tient sa promesse de nous faire engager parmi les figurants les plus en vue dans le film de Jimmy .
TONI - La quatrième .
BAMBOULA - Il nous permet de puiser dans la cassette pour couvrir nos faux frais...
RITON, pour mettre un terme à leur petite comédie . - Et la cinquiéme ? Il doit nous dire gentiment merci quand on lui rend le reste, s’il y a un reste .
TONI - Une chose est sûre : il a fait une grosse colère, le pépère, mais il a pas porté plainte contre nous ... Il est pas net .
BAMBOULA, un doigt sur le journal . - Ce Durimel, cet affreux de la haute qu’on a mis au placard, y tombe pile-poil .  Parce que Jules, ça l’infériorise.
TONI, à Riton. -  C’est lui, Jules, qui demande à nous rencontrer... Il a chargé Lola de nous le faire savoir... Il insiste... Il arrête pas de la relancer au téléphone,  parce qu’il a dû repartir, il est là-bas, où il a femme et enfants...
RITON - Ouais, je vois, alors je suis d’accord . Si c’est lui qui nous appelle, comme on a tous pris nos dispositions pour être libres la semaine du festival, allons-y.
TONI,  tapant la main de Riton . - Bravo, mec !
BAMBOULA ,   tapant  les  mains  de  Riton   et  de Toni .- Bravo ! Et aussi bravo, parce que les médicaments que j’ai pris ont fait de l’effet . Je vais me retrouver en pleine forme là-bas...
TONI, rigolard . - Ouais, mais là-bas, on n’apprécie pas bézef les p’tits mecs qui sont juste bons  à  s’faire  glouglouter  le poireau en suisse ...
BAMBOULA - Déconne pas, Toni, sinon Riton va me prendre pour un autre, parce que, comme de juste, je demande qu’à faire mes preuves autrement, moi,  ne serait-ce qu’en priant Lola de me donner une revanche, elle me doit bien ça !
RITON - ça promet ! (A Toni, en désignant le Titi négro .) Si t’arrives pas à le tenir en laisse, de quoi on aura l’air sur la Croisette ?

3 -Chaud, le festival, chaud !

Le bahut, la guitoune et le palace

Pour que les Cinq participent agréablement au tournage du film et aux festivités cannoises, la première condition imposée par Jules à été la venue de Lola sur la Côte en avant-garde . Les autres ont compris que le bonhomme avait besoin d’une assistante pour trouver à  les loger en cette période de l’année où les places libres sont rares dans les hôtels . Il n’y a que Bamboula qui ait mal pris la chose...  Il ne voyait là qu’un prétexte... Ah! comme il a grogné !
- Le salingue, c’est lui qui va pousser sa pointe, cochon de vieille croûte, c’est lui qui va godiller, sale viocard vicieux, qui va profiter de ce qu’elle est guérie, saine comme un beau fruit, toute belle, toute fraîche, toute chaude, et moi je dis qu’avec lui a mouillera même pas ...
- Tandis qu’avec toi elle inonde ovcorse... rigolait Riton.
- T’as tort de faire une fixette sur Lola, môme,   pense plutôt au film, et à tous ces p’tits culs des pépées du casting, lui conseillait Toni .
- Assez d’insanités ! grondait Simone . La Côte d’Azur pourrait tout  de même  vous  inspirer  autre chose!
Agrémenté de ses menus propos et de quelques autres du même tonneau, le voyage en TGV s’est très bien passé .
Lola les attend à la gare, les accueille, les embrasse, les embarque dans un taxi .
La grosse surprise, c’est à la descente du taxi . Elle les a conduit dans un camping . C’est tout ce qu’elle a trouvé... Elle n’a pas pu faire mieux . Elle s’en est pourtant donné la peine . Et Jules lui a donné toute latitude, sans lésiner sur les moyens . Il n’y est pour rien, Jules . Ce n’est pas sa faute . C’est tous les ans pareil . En plus, cette année, y a le film  Jimmy . Dans les hôpitaux, on met des lits dans les couloirs, mais pas dans les hôtels,  pas à Cannes en tout cas . Au demeurant, attention ! Ce camping, c’est l’un des plus beaux terrains de la région, l’un des plus proches de la Croisette ... Et même ici, les places son rares ... Faut dire aussi qu'elle aurait voulu deux mobile homes . Elle n’a pu en obtenir qu’un .
Ils arrivent à cette espèce de grande caravane . Lola a la clé . C’est propre, complet, kitchenette, ensemble banquette- table transformable en grand lit...
- Pour cinq, trois mecs et deux nanas, ça va être juste, rigole Bamboula, imaginant on ne sait quels ébats .
- C’est pour deux, réplique Lola, suivez-moi .
Elle les emmène un peu plus loin, les fait entrer dans une grande tente .
- Un auvent, deux chambres, commente-t-elle.
Que dire d’autre de cette maison de toile ?
- Ouais, fait Toni, de toute manière, on n’est pas venu pour dormir, voyons comment on se partage ?
- Honneur aux dames, sourit galamment le futur gendarme, la caravane sera pour elles .
- C’est que ... commence Lola, j'aurais été heureuse si Simone avait bien voulu loger avec moi... Ce serait possible, c’est possible, avec toutefois quelques inconvénients...
La mignonne bredouille un peu, gênée d’avoir à exposer que,  pour elle, grâce à ses relations, Jules a obtenu une chambre, dans un bel établissement, le Meynadier, qui mérite presque, mais oui, le nom de palace, où elle aimerait accueillir sa copine d’enfance et de tant de souvenirs,  ce qui ne pose aucun problème, si ce n’est que, bien sûr, Jules n’y passera jamais la nuit, ayant femme et enfants, mais de temps en temps, oh! pas souvent, elle le connaît, guère plus d’une fois dans la semaine, il voudra s’entretenir avec elle en particulier, dans ces conditions comment demander sans honte, sans rougir, à son amie, d’être assez gentille pour aller passer une heure dans les salons .
- C’est clair ! s’exclame méchamment Bamboula, elle prive Simone de palace pour pouvoir pinocher à l’aise avec son vioc !
- Tu n’as pas le droit, Bambou ! pas toi ! fait Lola, la larme à l’oœil .
- Moi je te comprends, Lola, s’interpose Simone, en la prenant par les épaules . Tu as des obligations envers cet homme, et ce n’est pas moi qui vais te compliquer la vie . Je reste ici, avec les autres ...
- Bon, ben... m’est avis que de baratin en jérémiades,  on a assez bavassé, tranche Toni . Que Lola garde son palace pour elle, on ira quand même lui dire bonjour, ça nous permettra de flairer l’air des festivaliers . Le super bahut pour camping de luxe sera pour Riton et Simone, un futur gendarme et sa dame, on peut pas faire moins. Moi et mon Caoua, on aura la guitoune...
Et voilà pour ceux qui se demandaient qui est le chef de cette fine équipe . On s’en doutait déjà,  que c’était le mastard, mais ça se confirme.
- Ouais...  grogne Bamboula .
- Quoi, ouais ? fait Toni . ça avancera ton éducation, môme, vu que, si t‘en ramène un sous ta toile...
- Un quoi ?
- Eh ben, un p’tit cul du casting...
- Eh ben ?
- Eh ben, faudra apprendre a t’en servir dans la discrétion, sans soulever la toile en tempête, de même que, cette nuit, si l’envie te prend de te palucher, faudra éviter de secouer le mur de ma chambre d’à côté...
Sur un rappel à l’ordre de Simone, que ces inepties chiffonnent, les Cinq quittent le camp pour aller se refaire une santé dans un bistrot voisin de l’Hôtel Meynadier, le palace où crèche Lola .

Après le casse-graine, visite du palace trois étoiles de Lola, bar, restaurant, jardin, piscine... Visite suivie d’un petit tour du côté du Palais où les prix seront décernés aux gagnants du festival, un coup d’œil en passant aux fameuses marches du fameux escalier, puis longue promenade sur le boulevard de la Croisette, jusqu’à la pointe de la Croisette .
En contrebas, sur les quais du  port Canto, on installe de vastes tentes blanches .
C’est là que demain, de bon matin, commenceront les choses sérieuses, les épreuves du casting .

Partouse manquée

Le film auquel les Cinq espèrent participer s’appellera  Le Rebondissement .
Titre provisoire, jugé un peu lourd, dommage, car il dit bien ce qu’il veut dire . C’est l’histoire vraie, mais romancée et anticipatoire,  de Jimmy.
Jimmy a gagné la Star Ac . Hélas, son premier CD a fait un flop retentissant . Sentimentalement parlant, une rupture a achevé de le terrasser .  Il est sauvé grâce à deux rencontres : celle d’un auteur-compositeur qui lui permet d’exploiter toutes les ressources de sa voix, celle d’Angèle, top-modèle, naïve et douce, mais non dénuée de caractère, et fort habile à trouver le chemin de son cœur .
Ils sont au moins deux cents, peut-être trois, les garçons et les filles candidats à la sélection des figurants . Les Cinq n’ont à présenter, pour tout laissez-passer prioritaire, qu’un carton de Jules, portant leurs noms, et destiné à un certain Monsieur Paul . Ce personnage n’est même pas connu du malabar qui garde l’entrée de la première tente . A l’entrée de la seconde, on les envoie dans la troisième . Monsieur Paul les y reçoit enfin .
- Ah ! oui, fait-il, de la part de Monsieur Jules, d’accord,  je me souviens ...  Mettez-vous là ...
Les arrivants rejoignent un groupe d’une vingtaine de garçons et de filles . Un mec en chemise à fleurs, genre branché festivalier ou cinéma d’avant-garde, vient leur expliquer ce qu’on attend d’eux . Ils seront le public de Jimmy renaissant . A chacun de montrer comment il sait danser sur place, se trémousser,  acclamer,  hurler sa joie,  défaillir d’enthousiasme... Le mec  va  les recevoir  un  à  un .
Et voilà le tour de Toni. D'entrée, ça coince. Le mastard  a beau tapoter le dos de sa guitare avec la carte de Jules, il ne parvient pas à retenir l'attention du sélectionneur . C’est alors qu’intervient un signe du destin .
Une femme entre dans la tente, l’air tragique, bras levés pour imposer le silence :
- Y a-t-il une coiffeuse parmi vous ?
Son ton est celui de quelqu’un qui demanderait un médecin pour soigner un épanchement de synovie de Zizou ou une rupture d’anévrisme du Président .
Simone hésite, Riton la retient, Toni la pousse, Bamboula aussi, au sens propre, les deux mains sur ses fesses.
- Moi, dit-elle .
- C’est pour Angèle, vient chuchoter la femme à son oreille. Sa coiffeuse a manqué l’avion. Fruteau, monsieur Fruteau, le réalisateur, ne supporte pas une minute de retard... Ah! si vous le connaissiez !... Venez vite...
- C’est à dire que...  nous sommes là, cinq amis, nous n’avons pas auditionné...
- Cinq,  eh bien, vous êtes retenus tous les cinq, j’en fais mon affaire, venez .
On change de tente . Dans la suivante, des cabines ont été aménagées pour le maquillage des artistes Rien n’y manque . Simone a tôt fait de retrouver le sourire et les gestes d’une parfaite professionnelle.
Pendant ce temps, les garçons s’intéressent aux trois ou quatre demoiselles du premier cercle de ceux qui entourent l’héroïne du film . L’une d’elle est mignonne à ravir . Pour le port de la minijupe, elle vaut Lola, et pour le haut,  elle la bat, ayant  jeté  aux orties  son  soutien-doudounes,  au  profit d’un émouvant ballottement. Elle s’appelle Clarisse. On rit, on papote .  Riton fait l’intéressant, étant l’ami de la coiffeuse . Toni expose qu’il lui faudrait rencontrer, comme Jimmy,  un auteur un peu génial pour renforcer ses propres textes . Clarisse  veut bien parler de ses seins si beaux, qui sont ceux choisis par la production . Bamboula ne comprend pas . On lui explique . Dans les scènes érotiques --il en faut, il y en a dans Le Rebondissement-- les nichons qu’on verra en gros plan sont ceux de Clarisse,  plus ronds que ceux d’Angèle . De même les fesses . La chute des reins d’Angèle laisse à désirer . Le cul de la production s’appelle Chloé. Un peu bégueule au premier abord, Chloé ne résiste pas aux vannes de Toni, au ton pince-sans-rire de Riton. Quant à Bamboula, il amuse les nanas sans rien dire,  tant y riboule des calots pas possible...
- Eh! les filles, fait Riton, allez-y molo avec notre Caoua, vous lui mettez trop la pression...
Clarisse, Chloé, et deux autres donzelles qui sont là parce qu’elles font dans le mannequinat avec Angèle, s’étonnent .
- Y a c’que vous dites de vous, les filles, enchaîne Toni, y a c’que vous laissez entrevoir de vos avantages, mais y a surtout que mon Bamboula, c’est un imaginatif... Alors y bande . Hein que tu bandes, mon Caoua ?...
- Ben oui , répond le môme,  mains croisées sur la protubérance qui déforme son jean.  .
- Y dit toujours “oui”, note Toni, vous allez voir pourquoi, les filles . Allez, Bambou, raconte le phénomène que t’es...
Le Titi négro ne  se  fait  pas  prier, sachant  que son histoire est bonne, et se souvenant des leçons de Toni, à savoir que les gonzesses, avant de se les farcir, faut les faire rire .
- C’était la première fois que je livrais des pizzas... se souvient-il . J’arrive dans un immeuble rupin, chez une bourge, une belle forte femme, gironde et tout, en peignoir entrouvert, et qu’est-ce que j’aperçois, je vous jure que c’est vrai, les poils de sa chatte...
- C’est tout lui, glousse Lola, il est comme ça .
- Ce que c’est que d’être timide, plaisante Clarisse, ça fait baisser les yeux .
- Les yeux, oui, mais ça n’empêche pas de lever la queue, rigole Toni
- Je sais pas quelle mine je faisais, reprend le môme,  mais la dame m’a demandé ce que j’avais . J’ai rien répondu . Elle aussi a baissé les yeux . Mais pas de timidité . Elle a dit avec un faux air étonné : “Mais c’est qu’il bande, ce petit con, oh !”    Elle m’a demandé : “ N’est-ce pas que tu bandes?”  J’ai dit :”Oui madame”, pas un mot de plus .
- Comment as-tu osé? fait mine de s’indigner Lola, c’est pas des choses à dire...
- J’avais encore la pizza dans les mains, poursuit Bamboula, ce qui fait que je n’ai pas vu ce qui se passait dessous... Elle s’est rapprochée, j’ai senti qu’on tirait ma ceinture, qu’on plongeait le long de mon ventre et qu’on m’empoignait ferme pour me faire entrer dans la maison ...
-  Voyez l’énergumène !... commente Riton .
L’énergumène se tait, fiérot.
- La suite, la suite!... réclament Clarisse, Chloé et les deux top-modèles rigolardes .
- La suite, c’est une grosse grosse surprise... laisse entendre Toni .
- Quel genre de surprise ? dit Chloé .
- Pourquoi “grosse, grosse” ? fait Clarisse
- Vous le saurez ce soir, si vous voulez, propose Toni . Venez donc prendre un verre au Meynadier, où nous sommes descendus...
Le mastard a frappé juste . La réputation de l’hôtel Meynadier, ça les émoustille, les filles . Le Meynadier, c’est presque le Carlton ou le Martinez . On s’y frotte à du beau linge . Clarisse croit même que Julia Roberts y a réservé une suite .
Lola doit reconnaître que sa chambre, une vaste chambre double, n’est pas mal . On y sablera le champagne pour faire plus ample connaissance .
Eh bien, non!
Quand le destin s’en mèle, c’est pas croyable comme les choses s’arrangent, et s’accélèrent . Voilà que les compagnes en mannequinat d’Angèle se souviennent qu’elle doivent, ce soir, encadrer l’héroïne du Rebondissement, lors d’une cérémonie . Et voici que Simone est aussi recrutée pour la recoiffer, la coiffeuse officielle, qui a beaucoup contrarié le réalisateur, ayant été dispensée de prendre l’avion suivant .
Tant pis, tant pis ! D'ailleurs, six gonzesses pour trois mecs, ça aurait cloché,  ça manquait d’équilibre pour une belle jeunesse ennemie de la débauche autant que de l’orgie, du stupre ou de la luxure .
Mais trois artistes chauds de la pointe, face à la reine des chutes de reins, à la plus belle paire de tétons de la Côte et à une Lola survoltée par l’émulation, quelle fine partie en perspective !
A  l’issue  de  cette réunion   matutinale,   Toni, toujours aussi vigilant et chargé de commisération, dit à Bamboula :
- Un conseil, mon Caoua, sache être patient, ne va pas t’étrangler le zob toute la journée dans les WC, ce soir, faudra que t’assumes .

Hélas ! six fois hélas, la belle partie hexagonale  n’aura pas lieu non plus .Et pourquoi? Parce que le vioc à Lola, l’affreux métèque, le Jules abhorré, à décidé de sacrifier femme et enfants pour passer la soirée, dans la ville même où vit sa famille, à deux pas de chez lui,  avec sa jeune maîtresse . Si c’est pas honteux!...
Riton et Toni, ça les a sciés . Et tenus éloignés de l’hôtel Meynadier, ainsi que Simone et que Bamboula, car ils ne veulent pas rencontrer Jules, leur réflexion concernant la restitution de la mallette n’étant pas assez mûre.
Lola reçoit Clarisse et Chloé dans sa chambre .  Leur explique brièvement la situation . Déception des visiteuses . Le palace ne pouvant les accueillir, les belles n’ont aucune envie d’aller à la découverte d’un terrain de camping au clair de lune. Elles ne sont pas venues à Cannes pour engager leur capital dans de pareils endroits . Elles regagnent leur Auberge de la Jeunesse . C’est ce que Lola est venue rapporter à ses potes, installés à la terrasse d’une brasserie du boulevard de la Croisette.

La pauvre, elle ne sait pas ce qui l’attend .
Bamboula, pour faire son malin, l’attaque en premier . Attaque foudroyante, en piqué .
BAMBOULA - Eh, Lola, tu sais comment on t’appelle dans les journaux  ? La Putain de Monaco .
RITON -  Écoute, Toni, dis à ton moricaud de s’écraser ou je lui mets un pain .
TONI - Bof, c’est pas méchamment dit, faut pas le prendre mal, Lola...
LOLA - Quand même j’aimerais comprendre, j’ai pas beaucoup de temps...
TONI, à Riton  - Alors vas-y, mec, toi qu’est si beau parleur, fais nous ta revue de presse .
RITON, la main à plat sur 3 ou 4 journaux -  On a d’abord le rappel des faits anciens pour lesquels le député-maire Thomas Durimel-Durand a déjà été condamné : un super appart de 400 mètres carrés, à Rueilly, que les contribuables ont plus ou moins payé, un train de vie de seigneur, la valetaille émargeant sur la liste des employés municipaux...
BAMBOULA - Faut-y qu’y soit fortiche, ce salaud, y s’fait pincer, y s’fait boucler, y s’fait réélire et y r’commence...
LOLA - Sois mignon, Bambou, laisse parler Riton, je suis pressée...
RITON - Ben, la suite, c’est rebelote . Il s’agit aujourd’hui d’un programme de 500 logements... Le fisc a découvert pour 4O millions de factures non conformes, dont 20 millions d’honoraires et de frais bidons.
LOLA - Mais dans tout ça... Monaco ?... Est-ce qu’on parle de la villa, qui d’ailleurs n’est pas à Monaco...
RITON - Pas du tout ! Pour finir, il n’est question que de la mallette remise à M. le député-maire. (Regardant Toni.) A ce propos, on aimerait bien savoir où est la nôtre... de mallette .
LOLA - Je suis d’accord avec Riton . Tu ne nous as pas dit ou tu l’avais mise . Moi je pense qu’il faut la rendre dès demain, ou louer un coffre dans une banque.
TONI, l’air finaud. - Elle est mieux que dans une banque, faites-moi confiance...
LOLA, d’une voix implorante  - J’en reviens à Monaco ? Pourquoi Monaco ? Dis vite, Riton, parce que Jules doit m’attendre, il faut savoir être correct quand même...
RITON - Pourquoi Monaco?... Tu dois le savoir mieux que nous, Lola ! C’est toi qui a rencontré Durimel !... Deux fois . La première fois, la secrétaire t’as vue apporter une mallette . La deuxième fois, elle  a collé son oreille à la porte . Vous avez crié ! Lui, il aurait crié “putain”, à plusieurs reprises, et toi tu aurais parlé de “Monaco” ! C’est ce que rapportent tous les journaux, et l’un en conclut que la mystérieuse mallette a été apportée à M. Thomas Durimel-Durand par “une putain de Monaco”.

Ainsi s’achève la réunion des Cinq. Chacun regagne ses pénates, vaguement rêveur .
Bientôt Lola sera dans les bras de Jules, imaginant, pour ne pas s’endormir, que Pépère va tout d’un coup se transformer en Bamboula .
Mystère de la télépathie, le môme pense en même temps que la félicité sur terre, c’est d’être à la place de l’homme au melon déplumé.
Riton se voit caressant la fière cambrure de Chloé, et Toni se rapetisse en gros bébé pour mieux téter les beaux tétons de Clarisse .
Quant à Simone, elle n’a pas le temps de rêvasser, elle . Jusqu’à une heure avancée de la nuit, elle travaille . Mais en compensation, Fruteau, le réalisateur, lui a offert un foulard Hermès, et, après le travail, Gabriel, le chef du casting à la chemise à fleurs, la reconduit en cabriolet jusqu’à la porte de son mobile home.

Les joyeusetés du tournage

Le lendemain, les Cinq se retrouvent au port Canto, lieu de ralliement de tous les artistes .
Première nouvelle : Angèle, l’héroïne du film, fait un caprice . Elle ne veut auprès d’elle aucune autre coiffeuse que Simone . Celle-ci, quoique flattée, refuse, proteste, arguant du fait, primo, qu’elle n’a qu’une semaine de vacances, et secundo, que Cannes ne doit pas manquer d’habiles professionnelles en cette semaine du festival .
Rien n’y fait . Angèle n’en démord pas . Trufeau se fâche . Gabriel dénoue l’imbroglio en promettant à Simone que, si elle accepte de se sacrifier, il confiera à ses amis les plus beaux rôles de figurants . On tope là...
Promesse tenue . La journée est consacrée aux concerts de Jimmy, d’abord en salle, dans un théâtre, puis en plein air, dans un stade .  Dans l’un et l’autre endroit, Toni, Riton, Bamboula et Lola sont au premier rang, en compagnie de Clarisse et de Chloé, heureuses d’être intégralement filmées . Et tous de hurler leur joie quand Jimmy apparaît, et, quand il chante, de se contorsionner pour mettre en valeur leur plastique, et tous de s’enlacer, de s’embrasser quand la vedette souffle .
Gabriel dit que c’est bien, que ç’a été du délire, on continuera cette nuit .

Eh oui! le film a son morceau de bravoure, un bain de minuit ovcorse . La production à loué la plage privée de l’hôtel Martinez, ce qui n’est pas rien en pleine semaine du festival . La faible plainte de Simone protestant contre les heures supplémentaires pèse bien peu . D’ailleurs, ses amis, qui se sont montrés brillants figurants, seront de la partie . En première ligne . Monsieur Gabriel, qui distribue les places et les emplois, charge Riton d’assister Chloé, et Toni de s’occuper de Clarisse . Bamboula doit les suivre . Impérativement . La chanson phare de Jimmy, c’est Beur-Blanc-Rouge, Bleu-Blanc-Beur, pour ne sacrifier ni le bleu, ni le rouge , fort bien, mais il faut penser aussi au black. Comme dit Gabriel : Jimmy est consensuel, en un seul mot, Bamboula doit donc se trouver toujours dans le champ . Il ne manque dans ce joyeux groupe que Lola, qui a dû regagner sa chambre, le tyrannique Jules ayant signifié son intention de passer ce soir encore . Il exagère celui-là !
Mais silence, on tourne .
Tous les figurants retenus, une bonne trentaine, sont à poil sur la plage . Au signal, ils s’élancent vers la mer comme une volée de moineaux . A la troisième prise c’est bon, M. Fruteau estime qu’il a son compte de poitrines et de pubis éclairés comme il le souhaite, lolos et verges au vent .
On filme ensuite les ébats aquatiques de Jimmy et d’Angèle . La séquence semble à tous un brin longuette, car l’eau est froide en dépit d’un mois de mai superbe . Quand vient le tour de nos amis, ils commencent à grelotter mais ils ne vont pas tarder à  se réchauffer . Toni  d’abord,  qui  doit,  sans se faire voir,  maintenir à bout de bras Clarisse, afin que la faible vague offre bien à la lumière la sculpturale rondeur de ses seins. Pour ce faire, il lui soutient la nuque de la main gauche, mais la main droite, il doit la lui passer entre les cuisses, pour lui pincer la vulve, afin de donner à son corps l’inclination idéale .
- N’en profite pas trop quand même, lui dit-elle , en riant aux éclats .
Chloé fait exactement la même remarque à Riton, avec le même rire, quand  il lui met franchement un doigt dans la chagatte pour parfaire, au sommet de la vague, sa cambrure et la parfaite rondeur de son arrière-train .
A deux pas, dans l’ombre, Bambou bave d’envie, et bande intensément . C’est alors que, miracle, il est sollicité par derrière, une main lui prend la bite, une peau douce frôle son dos, deux mains enserrent sa bite... Il regarde autour de lui, éperdu . Y en a-t-il d’autres qui baisent ? Et pourquoi pas ? La foule des festivaliers, là-bas, retenue sur le boulevard, ne peut pas voir... Des pensées lui viennent, toutes en même temps, comme un bouquet de fusées... Juste le temps qu’il faut pour se préparer une mortelle déception . Il sent le frôlement d’une bite entre ses fesses . Il se retourne . .. C’est un garçon, grand, jeune, blond...
- Non, euh... fait Bamboula. Sois pas vexé, mec, je suis pas contre, pas pour non plus... M’en veut pas...
Il débande aussi vite qu’il a bandé et se précipite vers la plage en soulevant d’immenses gerbes d’eau, sans même attirer l’attention de ses potes, Riton et TonI .

Monsieur Gabriel prend grand soin de ses meilleurs figurants . Après le tournage, il accueille sur le sable Clarisse et Chloé, et leur chevaliers servants, avec de grands gestes d’amitié . Il jette sur leurs épaules des serviettes de bain et leur dit:
- Vous avez bien travaillé, Fruteau est content,  mais vous êtes gelés, venez, j‘ai mes entrées au Martinez, vous allez prendre une bonne douche bien chaude .
Ils quittent la plage et traversent la foule qui paralyse la circulation des voitures sur le boulevard de la Croisette . C’est la première nuit blanche du festival . Bon nombre de réceptions auront lieu ce soir . A l’hôtel, nul n’est étonné par le passage de quatre personnes presque nues, leurs habits sous le bras, une serviette sur le dos, au milieu des dames en robes du soir et des messieurs en smoking, répandus dans toutes les salles. Il y en a jusqu’au bord de la piscine . Mais ce n’est pas aux douches de la piscine que M. Gabriel conduit  ses protégés . Il connaît bien la maison, les fait passer par le salon de coiffure, leur montre du doigt un écriteau : Fitness, puis s’esquive . Deux cabines désertes et que l’on dirait à des lieues de l’agitation festivalière semblent attendre les baigneurs . Un lieu propre à recevoir des gens qui ont commencé à faire connaissance dans la mer et entendent continuer . Sans tarder.

Dans l’une des cabines,  sous un jet d’eau délicieusement tiède, le corps de Chloé glisse entre les bras de Riton qui l’enserre . Elle se retrouve à genoux, lui caresse le sexe . Il la prend par les cheveux, presse sa tête contre lui . Elle joue le jeu, lui suce le dard , le mordille, fait mine de l’avaler, lui gratouille les couilles, puis s’écarte . Surprise! Le voilà tout habillé de bleu .
- C’est un préservatif spécial, américain, au miel,  plaisante-t-elle pour dissiper l’amorce d’une déception. Je continue ?...
Il préfère la relever en la prenant par les hanches . Elle cède à cette invite, et debout, lève les bras pour s’accrocher, dos au mur,  à une barre porte-serviettes, puis elle lève une jambe, pour poser un pied sur le rebord d’une niche porte-savon. La réputation que lui vaut sa cambrure n’est pas surfaite . Comme elle sait bien mettre en valeur et entrouvrir sa vulve . A Riton de l’explorer, ce qu’il fait, avec un doigt d’abord, puis deux . Il a tôt fait de situer le clicli d’amour, la pointe vive, le jouissif bonbon, qui arrache à Chloé ses premiers gémissements... Bref,  disons que bientôt le piston bleu va entrer en action et qu’il  fonctionnera dans un cylindre lubrifié à souhait, mais brisons là, sinon nous tomberions dans le licencieux .
Les autres, à côté, se livrent de même à un marivaudage de la plus belle eau . Clarisse s’accroche des deux mains au porte-savon . Toni, qu’elle a coiffé de rouge,  la prend par derrière . Et ça y va, il est pas faignant le cador, mais une image frivole l’empêche de se concentrer autant qu’il voudrait . Il pense à son caoua et à son envie de la nusse . C’est pourquoi il donne un petit coup de bélier à l’entrée des artistes en guise de demande d’autorisation . Elle geint, s’impatiente, lui dit “entre”. Mais où? Avide,  ardente,   elle lâche  d’une  main  son  point d’appui pour quasiment se la fourrer dans le con, et que je t’astique le bouton, et que je te joue de la mandoline, ce que voyant,  Riton la comble .
Ah! la coquine . Mais trève de cochoncetés . On saura jamais le fin mot de l'histoire...
Après ce premier acte, les deux couples se retrouvent dans l’antichambre des cabines . On papote, on rigole, les filles font voir leur collection de capotes américaines, certaines ornées de l’effigie de vedettes du cinéma .
- Qui veut mon Superman ? Mon Di Caprio ? plaisantent-elles .
Comme elles regrettent que les garçons ne soient plus en état de les essayer!... C'est ce qu'elles disent...
Ils relèvent le défi .
Ils s’allongent nus sur le marbre du sol .
Du bout des doigts, du bout des lèvres, elles les habillent à leur convenance, et hop! les enfourchent. Et elles y vont de bon cœur, encouragées par les petits claquements de leurs fesses sur les cuisses de leurs partenaires .
Jolie partie, amusante aussi par le fait que c’est Toni que Chloé chevauche, et Clarisse Riton .

Ce bon Monsieur Gabriel

L’assistant de Fruteau, M. Gabriel, est un homme juste, qui aime à rendre service . Clarisse et Chloé sont des intermittentes qu’il connaît de longue date. Aujourd’hui, elles ont bien travaillé . Toni et Riton, dont il a vite évalué le potentiel, ont bien fait ce qu’on attendait d’eux . Les uns et les autres méritaient donc une récompense . Aussi M. Gabriel se réjouit-il de sa bonne conscience à l’idée qu’un peu grâce à lui ces quatre-là se donnent du bon temps . Pour exercer davantage son altruisme, il lui reste à s’occuper de Simone .
- Je crains que vos camarades vous aient oubliée, lui dit-il .
- Ils ne doivent pas être loin ...
- Je n’ai pas réussi à les retenir,  mais comptez sur moi, je vous raccompagne .
On monte dans le cabriolet, une superbe Porsche rouge dernier cri, on s’engage dans l’enfer de la lente circulation d’un soir de festival . Toutefois, l’ennui du voyage est largement tempéré par les signes d’amitié adressés par les badauds au conducteur, fort connu de tous ceux qui gravitent autour des cinéastes .
- Ils se demandent qui vous êtes et où nous allons, sourit Gabriel .
La jolie coiffeuse de la Cité des Fleurs, promue coiffeuse de star, et compagne d’un grand manitou du cinéma, se sent flattée .
On s’arrache enfin à la cohue, au tumulte. On roule un peu, juste ce qu’il faut pour que le cabriolet donne les preuves de ses qualités et l’on entre dans un camping désert . Silence de mort . Les vieillards et autres infirmes privés de Croisette dorment . Pas de Riton dans le mobile home, personne dans la tente voisine .
- Je vous offre une coupe au bar de la plage du Martinez,  propose Gabriel .
Comment refuser . Et pourquoi non ? Demi-tour.
Mais le bar est en train de fermer . L’équipe du film et les spectateurs du tournage ont reflué pour rejoindre les festivaliers sur le boulevard et dans  les palaces . M. Gabriel ne paraît pas étonné .
- Fruteau et toute sa bande occupent le Martinez, note-t-il, on le leur laisse, d’accord ? Je vous invite au Carlton, l’un vaut l’autre, vous  verrez .
Le hall d’entrée ainsi que le bar qu’elle aperçoit lui semblent en effet somptueux . Toutefois, le temps lui manque pour admirer,  M. Gabriel l’invitant à vider la coupe promise dans sa chambre . Car c’est au Carlton qu’il réside, il y retient sa place longtemps à l’avance, c’est un vieil habitué .
Quelle raison aurait-elle de refuser? Ce monsieur fait preuve du meilleur savoir-vivre . De plus, elle est sûre d’elle, confiante en ses principes .
Et n’a-t-elle pas maintes fois donné des preuves de la fermeté de ses attitudes ?
C’est une très belle chambre climatisée, avec salle de bain en marbre, sèche-cheveux, TV câblée, vidéo, minibar, service d’étage .
M. Gabriel commande une bouteille de champagne.
M. Gabriel est beau parleur, et flatteur . Quelle chance pour la production d’avoir trouvé une artiste capillaire de l’envergure de Simone ! Elle a des doigts de  fée . ..  (Tout beau ! se dit-elle . Moi, je n’ai aimé que deux fois dans ma vie, je n’ai couché qu’avec deux hommes, Toni et Riton, plus une autre petite fois peut-être, une défaillance, mais qui ne compte pas ... ) ...des doigts de fée si douces et des lèvres pareilles !
Comme avec un duvet, du dos de la main, il effleure sa bouche .
Elle s’apprivoise, sachant qu’il ne la forcera pas . Mais elle ne cédera pas ...
Le champagne pétille dans les verres, distille dans leurs veines  une touche  de griserie .  Il  parle des seins de Clarisse, ceux de Simone, qu’il frôle, sont aussi beaux. Elle objecte que tous les hommes sont les mêmes, confuse de son peu d’originalité dans la répartie. Il admire son jugement, sent ce qu’elle ressent, dit-il, et affirme que la chute de reins de Chloé n’est pas plus remarquable que celle qu’il parcourt d’un soupçon de caresse .
Cela ne peut durer .
- Je ne suis pas comme ça, Gabriel, je ne couche pas, je veux dire, un premier soir, comme ça...
- Dommage, sourit-il, j’aurais aimé te révéler à toi-même
- C’est à dire ?
Il la renverse sur le lit.
- Te faire connaître le plaisir.
- Bof ! je connais...
Il écarte ses cuisses, et plonge entre elles, le nez fouisseur, en grognant :
- Mais gnon... gnon... gnon... tu sais pas... tu sais pas...
- Mais si ! Mais si !
Il ôte le slip qui l’arrête, se joue des grandes, puis des petites lèvres, d’une bouche gourmande, et sa langue vipérine touche mille sommets sensibles, ouvrant les vannes de mille sources de jouissance .
Le bouffon, le diable d’homme ! Elle était assise au bord du lit, elle s’est couchée, bras en croix . Alors lui, toujours suçant, toujours léchant, il l’allonge, et hop! c’est l’as du tête à queue, ce conducteur de cabriolet . Les voilà tête-bêche, en place pour un soixante-neuf somptueux . Simone n’a guère de pratique, mais quand même, dans le passé, elle a eu des élans, elle a aimé, elle embouche la flûte à grelots .  Ah!  comme  il apprécie !   Et,  poli, lui dit que ça va pas durer, qu’y va balancer la purée, que peut-être elle aime pas... Hop! tête à queue... la pénètre sans coup férir, lime un peu ... Des ondes magiques, un grand frisson, ses reins se creusent... Les reins de qui  ?  Des deux . Ensemble, un même orgasme .
Quelques gouttes de sueur perlent à leur front . Le champagne qui reste est tiède. Bien qu’elle ne souhaite pas qu’il commande une autre bouteille,   son peignoir à peine noué, il entrebâille la porte, tend le bras,  fait claquer son doigt...
- Le garçon attendait ton signal ? s’étonne Simone,  quand il revient vers elle .
- Le hasard, il passait...  La chance est avec nous.
Comme elle fait la moue, et demeure boudeuse, il lui demande si elle n’a pas été heureuse. De fait, il sait qu’elle l’a été, le corps ne ment pas . L’accentuation de sa grimace le pousse à dire, en souriant, qu’il est sûr d’avoir tenu sa promesse ...
- Quelle promesse  ? fait Simone .
- La révélation ... plaisante Gabriel .
- Bof!... le plaisir, c’est le plaisir .
- Mais encore ?
Le garçon livre le champagne .
Gabriel voudrait que sa partenaire lui dise ce qu’elle ressent, qu’elle lui permette de comprendre ce qui gâche son plaisir . Elle finit par lui concéder une explication en deux mots :
- La honte, dit-elle .
Il est intelligent, M. Gabriel, et peu disposé à se lancer dans des discussions d’ordre psycho-philosophique . Il est bien tard, ils se reverront demain .
- Je ne crois pas, dit Simone .
- Nous nous retrouverons pour le travail, plaisante le galant, demain c’est la grande scène de la montée des marches, il faut qu’Angèle soit savamment décoiffée, on annonce du vent ...
- Nous verrons cela .
La bouteille est à peine entamée, mais puisqu’elle le souhaite, puisqu’elle n’a pas envie de profiter davantage de cette chambre de palace, puisqu’elle ne veut pas finir la nuit auprès de lui, gentiment, dans un lit super confortable, il accepte de la reconduire au camping .
Les rues sont moins chargées . Le cabriolet roule vite. Quelques retardataires, des lavedus d’arrière-garde, des festivaliers zonards, qui rentrent au camp à pied, lorgnent avec étonnement la Porsche rouge . La voiture s’arrête devant la tente de Toni et de Bambou . Personne . Vide aussi le mobile-home . M. gabriel propose à Simone de lui tenir compagnie jusqu’au retour de Riton .
- Non, non... rougit-elle .
M. Gabriel n’insiste pas .

Désir d’amour

Le Titi négro a longtemps fait les cent pas dans la rue Meynadier, au pied de l’hôtel du même nom, sans quitter des yeux la fénêtre de Lola . N’importe quel autre jour, son manège aurait attiré l’attention des riverains, d’autant qu’il était obligé de raser les murs pour ne pas être vu par Jules lorsqu’il sortirait, mais ce soir la densité de la foule a facilité son guet .
Le bonhomme est sorti, le dos rond, l’air soucieux . Alors le môme a couru vers  l’escalier de service . Il  est  maintenant  auprès de sa belle, si l’on ose dire, car c’est une petite chose toute chiffonnée, Lola, avec sa minijupe de travers, une bretelle de son débardeur pendante, ses cheveux en désordre, ses yeux rougis, ses joues baignées de larmes .
Bambou veut lui faire dire que Jules l’a malmenée, sévèrement grondée pour n’avoir pas récupéré la mallette, peut-être giflée, peut être battue . Ah ! le monstre,  comme il saura la venger !
Elle ne cesse de lui répéter que son ami ne s’est en rien montré brutal, physiquement, étant lui-même fort affecté . Elle va tout lui expliquer...
Elle pose sa tête sur l’épaule de Bambou, un bras passé derrière son cou, ravale ses sanglots, reprend son souffle, frotte son front au maillot du garçon pour essuyer son visage .
Lui se sent inondé de bonheur par cette marque de confiance . Elle est attendrissante, émouvante, bouleversante, Lola . Il est heureux, mais en même temps tellement ému qu’il a envie de pleurer . Il en oublie de bander, alors qu’elle est là, contre lui, toute chaude et palpitante .

BAMBOULA - Il t’a quand même réclamé la mallette ?...
LOLA - Oui... mais non... c’est pas le principal ! Le plus grave pour lui ç’a été la visite hier des policiers de Paris qui s’occupent du député-maire Thomas Durimel-Durand . Ils savent que c’est Jules qui lui a vendu sa villa de Monaco,  je veux dire... du cap d’Ail ...
BAMBOULA, la berçant entre ses bras . - C’est son problème, tu n’y es  pour rien, ma petite Lola...
LOLA - Attends!... Les policiers ont continué de le tarabuster aujourd’hui... Ils veulent savoir pourquoi des entrepreneurs sont venus d’Ile-de France pour construire sur la Côte... Ils l’accusent d’être en cheville avec Durimel, d’être aussi coupable que lui... Ils parlent de détournement de fonds publics, de prise illégale d’intérêt... Ils le menacent de perquisitionner à son agence de Paris, à celle de Cannes, à deux pas d’ici, à celle d’Antibes et même chez lui, dans sa maison, au cap d’Antibes, où il a femme et enfants...
BAMBOULA - Eh ! Lola, on va pas pleurer!... Je suis sûr qu’il t’a demandé un gros câlin pour se consoler ce vilain singe !
LOLA - T’es fou, Bambou ! Il a pas la tête à ça, je te jure !
BAMBOULA, avec un sourire malin. - La tête non, mais le reste ...
LOLA - Ah-ah! j’aimerais rire avec toi, Bambou. . (Elle l’embrasse sur la joue.) Mais il faut que je te dise... Je crains le pire... Hier, Jules se sentait dans la mouise,  il parlait d’amende, de contrôle fiscal...  Aujourd’hui, il a peur de la prison, et il m’a dit que j’irai aussi, et c’est pour me le dire qu’il est revenu ce soir, ce qui n’était pas prévu...
BAMBOULA - Et pourquoi toi ? La peur le rend dingue, ton vioc !
LOLA - Il m’a fait toute une scène parce que les journaux m’appellent la “Putain de Monaco “, il soutient que c’est de ma faute malgré que je lui ai tout expliqué! Il prétend que je n’suis pas assez discrète, il veut que je me cache, et là, oui, il me demande notre mallette,  il veut qu’on la  lui rende,
mais c’est pour me rendre service, parce que si je suis prise avec, comme elle ressemble à l’autre, je coulerai comme Durimel et lui...
BAMBOULA - C’est un sacré vicelard, le pépère, il profite de la situation...
LOLA - Non, je n’pense pas, il a vraiment la traquouse, et la mallette, il nous la donnerait, si ça pouvait effacer l’ardoise...
BAMBOULA - Ouais, je vois... Pour repartir à zéro, toi dans l’appart qu’y t’a trouvé, toujours à sa main, toujours à sa botte, à l’attendre pour... je m’comprends, espérant qu’un jour y te dégottera une boutique en franchise...
LOLA - Mais c’est qu’il est jaloux, mon Bambou !
BAMBOULA - Oui .
LOLA - Eh bien, il a tort . (Nouveau baiser sur la joue.) Jules et moi, c’est fini.
BAMBOULA, se levant d’un bond. - Non, c’est vrai?... Pourquoi tu me fais marcher ? Il te l’a dit ?
LOLA - Reviens t’asseoir... (Il s’exécute, se laisse aller sur son épaule.) Il ne m’a rien dit, pas un mot là-dessus, mais je le sais . Les sentiments, comment dire... il n’y a pas besoin de mots, on les devine...
BAMBOULA , reculant son buste pour la fixer dans les yeux. - Et moi... mes sentiments, tu les connais?
LOLA - Oui, Bambou .
BAMBOULA - Tu lis dans mes yeux que je suis malade d’avoir quelques années de moins que toi...
LOLA - Oui, je le vois, mais ça n’a pas beaucoup d’importance.
BAMBOULA - Que je suis un... moins que rien !
LOLA - C’est pas vrai, et ça n’a pas beaucoup d’importance.
BAMBOULA - Qu’est-ce qui a de l’importance ?
LOLA - Tout ce que je lis d’autre .
BAMBOULa - Quoi? Que j’ai envie de t’embrasser...
LOLA - Je le vois.
BAMBOULA - De t’enlever tes frusques ?
LOLA - Oui, je vois que tu veux me déshabiller...  (Elle lève les bras, il commence l’effeuillage sans la quitter de yeux.) lentement, tout doucement...
BAMBOULA - Tu lis quoi encore ?
LOLA - Que tu veux que je m’allonge à côté de toi, et je le fais... tu veux te poser sur moi, je veux bien, tout doux, tout, doux...
BAMBOULA - ça peut plus durer ce jeu, Lola, je suis dans toi maintenant, ben oui... tu le sens, tu me sens...  je vais fermer les yeux....
LOLA - Non, tout doux, attends... parce que je vois que tu veux me dire quelque chose avant, alors dis-le, dis-le...
BAMBOULA - Je t’aime, Lola, je t’aime....
LOLA - Moi aussi, je t’aime, mon Bambou, je t’aime .

VIIIPaul Arrieu, Casting d'enfer

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